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Naufrage européen

Un enfant chasse les oiseaux avec sa fronde. Un bateau de migrants fait naufrage. Ces deux réalités constituent désormais le quotidien de Lampedusa, petite île entre la Sicile et l’Afrique. Avec Fuocoammare, Ours d’or à Berlin, Gianfranco Rosi saisit en un même mouvement la banalité et l’horreur.

Depuis 20 ans, 400 000 migrants ont atteint Lampedusa. 15 000 ont péri en mer. Comme Calais, l’île est devenue le symbole de l’incapacité de l’Europe à construire une politique d’accueil digne de ses principes – et du droit international. Rosi qualifie d’ailleurs la situation de « plus grande tragédie européenne depuis l’Holocauste ». L’Italien ne fait cependant pas de son documentaire un réquisitoire. Celui-ci mêle la petite et la grande histoire. D’un côté, la vie quotidienne de quelques habitants, au centre desquels le jeune Samuele. De l’autre, un système « militaro-humanitaire » déployé autant pour arraisonner les navires illégaux que pour secourir leurs occupants. Rosi rend avant tout sensible une séparation. Jamais autochtones et migrants ne se croiseront. Depuis la mise en place de l’opération « Mare nostrum », fin 2013, et celle d’un centre de rétention, l’impératif éthique de l’accueil s’est dissous dans les techniques de « gestion de flux ». Fuocoammare montre ainsi une politique qui a rendu indiscernable le sauvetage – l’« humanisme » – et le contrôle. Par son montage, il tisse aussi des liens secrets entre les êtres, nous rappelant qu’en deçà des barrières, le monde n’est fait que d’une seule chair vibrante.

 

Raphaël Nieuwjaer

Documentaire de Gianfranco Rosi. En salle

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