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Allons voir si la Rose...

Didier Thibaut © Petra Hilleke, 2015

Qu’elle est belle, l’aventure de La Rose des Vents ! Difficile, chaotique certes, mais pleine de rebondissements et, surtout, de formidables découvertes. Au moment de célébrer les 40 ans de cette singulière Scène nationale, Didier Thibaut, son directeur, retrace pour nous l’histoire d’une institution qui fut à bien des égards pionnière dans le domaine de la danse et du théâtre contemporain.

Comment est née La Rose des Vents ? L’histoire de cette maison est une suite de hasards. La ville nouvelle (ndlr : Villeneuve d’Ascq) est née de la fusion de trois villages (Flers, Annapes et Ascq) autour de deux universités. Une extension de Lille, en quelque sorte. Mais les élus locaux souhaitait une certaine autonomie, d’où la construction d’un lieu d’animation, une salle qu’on appellerait aujourd’hui polyvalente, afin d’accueillir la vie locale et culturelle. Parallèlement, Tourcoing comptait un Centre dramatique national alors dirigé par Jacques Rosner qui cherchait un lieu de travail. Il y avait enfin l’idée de créer un studio d’enregistrement car c’était la grande époque des télés locales, d’où ce grand mât toujours visible… La Rose a poussé grâce à cette triple idée.

Tout ne fut pour autant pas si facile… Effectivement, les débuts ont été très laborieux. L’Etat était très hésitant, allouant des financements avec parcimonie, et la Région dans l’attentisme car c’était le commencement son engagement culturel. Jusqu’en 1982, il a fallu se battre pour trouver des fonds, la maison a failli disparaître…

Pourquoi ce nom, la Roses des Vents? C’était celui de l’association qui devait être le support juridique de cette salle. Elle s’appelait ainsi parce qu’il n’y avait rien autour, si ce n’est un champ, donc le bâtiment était ouvert à tous les vents…

Quel fut le premier spectacle joué ici ? C’est Jacques Rosner qui a lancé la première saison avec  La Double inconstance de Marivaux, en octobre 1976.

Ensuite, comment la Rose a-t-elle résisté ? Elle a traversé d’autres crises, financières notamment, mais fut pérennisée en devenant centre d’action culturel, en 1982, donc financée par le ministère. Il y eut, toutefois, une crise interne: la mairie et l’Etat reprochant au directeur de l’époque, Pierre-Etienne Heymann, de concentrer la programmation sur ses créations personnelles. Il démissionna en 1984 et c’est Pierrette Garreau qui lui succéda. Je suis arrivé en 1988 et la Rose est devenue Scène nationale en 1991. Quand je me plonge dans cette histoire, je suis frappé par la capacité de cette maison à résister, se renouveler et se réinventer.

Justement, quelle fut cette évolution ? Il y a une constante très forte : la priorité donnée au théâtre – même si j’ai ensuite mis l’accent sur la danse. Il y a toujours eu, aussi, cette idée que la Rose devait être un lieu consacré à la diffusion plus qu’à la création…. du moins jusqu’à l’émergence des Scènes nationales. A partir des années 1990, nous avons insisté sur la production et le soutien aux artistes comme l’exigeaient nos nouvelles missions.

En quoi la Rose des Vents est-elle singulière ? Elle est plus proche de Bruxelles que de Paris et a de ce fait toujours été attentive à la création belge. D’abord avec la Wallonie, jusqu’au milieu des années 1990 et la forte inflexion que j’ai portée en réorientant complètement le projet autour de la question du corps, du métissage des formes, en particulier avec les Flamands.

Pourquoi ? Il y a eu une extraordinaire explosion artistique en Flandres. Ce fut une chance formidable pour notre maison. On se situe juste à côté de ce que j’appelle “le triangle d’or de la création européenne”. Il y a aussi un homme qui a joué un rôle important dans notre évolution, c’est Jean-Michel Rabeux. Il a fait la jonction entre ce que nous défendions : un théâtre d’auteur, autour de la question du mélange des genres, et la place des corps sur le plateau. Mon intérêt pour Lauwers, Platel, Fabre vient aussi de ces questionnements.

En quoi l’approche artistique des Flamands vous a-t-elle séduit ? Leur jeu est extrêmement engagé, physique, et je ne parle même pas de la danse, mais du théâtre ! Très longtemps, l’acteur français n’était qu’une voix, sans corps ni sexe… C’est brutal de le dire comme ça, mais je voulais en finir avec l’académisme.

C’est-à-dire ? A la fin des années 1990, il y a eu un terrible essoufflement du théâtre français. J’ai donc eu besoin de trouver de l’air et je l’ai trouvé grâce à ces artistes flamands qui nous ont aussi ouverts au reste du monde. Notre programmation internationale s’est vraiment construite à ce moment-là. Aujourd’hui ce mélange des formes, cette volonté de briser les cadres a gagné pas mal de scènes régionales (l’Opéra de Lille, l’Hippodrome à Douai…). Elle est aussi l’une des raisons profondes du renouvellement du théâtre français qui a été très marqué par cette transdisciplinarité :  la mixité avec la danse, la question du corps, du jeu de l’acteur…

Quels sont vos partis-pris en terme de programmation ? J’aime beaucoup cette formule que nous avions trouvée avec Jean-Michel Rabeux : “Montrer des spectacles improbables à un public tout aussi improbable“. Nous tenons à montrer des choses surprenantes, un mélange entre danse et théâtre, mais en tenant compte du public, qu’il soit le plus divers possible, c’est une de nos religions. C’est un jeu d’équilibriste. Une chose me tient toutefois à cœur : créer pour chaque spectateur une mémoire, je veux que les gens se souviennent toute leur vie d’avoir vu, par exemple, Orestie de Romeo Castellucci (avec Strasbourg, on était les premiers à l’accueillir il y a 20 ans).


Quels sont les moments forts que vous retenez, vous-même ? Cette complicité avec Jean-Michel Rabeux qui a vraiment marqué l’histoire de la maison et, même s’il n’est plus artiste associé, cette relation perdure. Nous avons aussi participer à Theorem, un projet de Bernard Faivre d’Arcier. Nous étions ainsi une dizaine de théâtres européens à soutenir, après la chute du mur de Berlin, l’émergence des jeunes générations en Europe centrale et de l’est, des gens comme Warlikowski… Ensuite, je reste marqué par le premier spectacle d’Alain Platel, les solos de Jan Fabre, puis la création du festival Scènes étrangères en 2000 et la cristallisation d’une programmation internationale qui a ensuite donné naissance à Next. Enfin il y a ce public, évidemment. Quand je suis arrivé on ramait, et aujourd’hui les salles sont pleines…

Quels seront les spectacles à ne pas rater lors de cette saison anniversaire ? Bien évidemment, la reprise par Wim Vandekeybus de In Spite of Wishing and Wanting. Il y a aussi un spectacle que je voulais absolument inclure dans cette programmation avec le Théâtre du Nord : Iphigénie en Tauride de Jean-Pierre Vincent, parce que c’est l’un des derniers grands maîtres du théâtre français. Sans oublier, bien-sûr, Next, le retour de Peeping Tom, Josse de Pauw…  et aussi une jeune metteure en scène wallonne, Sylvie Landuyt, avec son spectacle Elle(s)… bref ça reste très belge tout ça ! Citons enfin la création d’Antoine Lemaire, Nous voir nous… car nous avons toujours assuré notre rôle de soutien à la création régionale.

Quels sont vos projets ? On travaille actuellement, non pas à une fusion mais à un rapprochement avec le Théâtre du Nord, pour mettre en commun nos missions autour de la création et du soutien aux jeunes artistes. Nous souhaitons travailler ensemble sur de grands échanges internationaux. En joignant nos forces on peut faire mieux, notamment en soutenant un projet d’exportation des compagnies de toute la région, en France et à l’étranger.

40 ans, c’est l’âge de … ? C’est d’abord celui de la maturité, d’un enracinement dans le territoire mais aussi dans le paysage national, européen.  C’est aussi l’âge du questionnement sur le futur. Le monde change, les pratiques et formes artistiques aussi et notre maison continue de s’interroger, comme elle l’a toujours fait, sur ce que peut être le théâtre du XXIe siècle. On sent bien, par exemple, qu’on peut aller plus loin avec les arts plastiques, l’image, la vidéo… Et puis l’un de nos grands défis consiste en la rénovation de ce bâtiment. Le projet a du mal à émerger mais il y a en tout cas une volonté forte de l’Etat.

Propos recueillis par Julien Damien

En chiffres, la Rose des Vents c’est…

Près de 25 000 spectateurs par an, soit un taux de remplissage de près de 80%. Un budget de 3 millions d’euros. 27 salariés en comptant le cinéma d’art et d’essais Le Méliès intégré à la Rose des Vent – 52 000 entrées par saison. Environ 130 représentations annuelles en moyenne. 1437 spectacles accueillis depuis sa naissance, il y a 40 ans.

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Programmation

In Spite of Wishing and Wanting, Wim Vandekeybus (29 & 30.09) // Iphigénie en Tauride, Jean-Pierre Vincent (05>09.10) // Réparer les vivants, Emmanuel Noblet (11>21.10) // Boussole, Emmanuel Noblet (16.10) // De l’autre côté d’Alice, Cie hop !hop/hop ! (05.11) // Tout près d’Alice, Cie hop !hop/hop ! (05.11) // Quichotte, L’Interlude T/O Eva Vallejo & Bruno Soulier (08>11.11) // Nicht Schlafen / Projet Mahler, Alain Platel, Les ballets C de la B (17>19.11) // Nous /Eux (Wij / Zij), Carly Wijs / Bronks (18 & 19.11) // Vive l’armée !, Superamas (18 & 19.11)  // Imitation of Life, Proton Theatre (23>25.11) // Five Easy Pieces, Milo Rau, IIPM, Campo (24 & 25.11) // Alors que j’attendais, Mohammad Al Attar, Omar Abusaada (24>26.11) // Acceso, Pablo Larrain & Roberto Farias (25>29.11) // De Warme Winkel, De Warme & Eddie The Eagle Museum (25.11) // NO51 My Wife got Angry and Deleted All The Pictures From Our Holyday, Teater NO99 (28 & 29.11)

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