Home Reportage Bistronomie lilloise

Un tour de tables

Le Clarance

Après la disparition de ses deux derniers restaurants étoilés, Lille était devenue un désert gastronomique. L’arrivée d’une nouvelle génération de chefs a transformé la capitale des Flandres en oasis bistronomique avec une dizaine de tables mêlant grande cuisine, cadre décontracté et prix démocratiques. Enquête sur une tendance bouillonnante.

L’annonce, le 1er février dernier, des promus du Bibendum a pris une saveur particulière à Lille avec l’intronisation du chef le plus tatoué de la place : Nicolas Pourcheresse, à La Table du Clarance. Une performance, un an après son ouverture, valorisant le prestigieux hôtel dans lequel l’ex-candidat de Top Chef (saison 6) s’exprime. Et une fierté pour la ville, qui récupérait du coup un restaurant étoilé… Ironie de l’histoire, cette distinction survient un an après la fermeture de L’Huîtrière, la plus ancienne (et célèbre) adresse lilloise. La fin d’une institution familiale créée en… 1928. Dans la presse locale, Antoine Proye, gérant depuis 2005, parle « d’un changement d’époque et de modèle économique pour la restauration haut de gamme… ». La disparition d’un monde, et le début d’un autre, avec l’arrivée d’une nouvelle génération de chefs proposant une cuisine inventive, raffolant des bons produits, et plus abordable. Les ingrédients de la bistronomie, en somme.

Le potentiel lillois – Deux ans auparavant, Jean-Luc Germond, patron du Sébastopol, raccrochait son tablier après 46 ans d’une carrière qui l’avait vu officier au Flambard (deux étoiles dans les années 1980, liquidé en mars 1993) et au Restaurant de Jean-Paul et Ghislaine Arabian, autre deux étoiles lillois qui a fermé en 1992. A l’approche de la retraite, il a mis trois ans pour revendre son établissement… à un investisseur immobilier. « J’aurais aimé qu’un grand chef me succède, mais aucun repreneur sérieux ne s’est présenté ». De fait, le pari semble plus périlleux qu’autrefois. « Les années 1980 où les clients étaient prêts à débourser une centaine d’euros chacun sont révolues ». En sus, « le positionnement gastronomique impose aujourd’hui des moyens financiers qu’un débutant ne peut s’offrir avec, en prime, le risque de ne pas plaire, notamment aux guides », analyse Alexandre Gauthier, chef de la Grenouillère à La Madelaine-sous-Montreuil. Un contexte difficile qui n’entame pas l’enthousiasme des nouveaux cuistots. « En rivalisant d’inventivité à Lille, on confirme le potentiel de la ville en tant que carrefour entre Paris, Londres et Bruxelles ». Parmi les précurseurs, on trouve Le Goût du Jour, créé rue de la Barre fin 2008, par le chef Jean-Louis Duchène et Laurent Chivorez. Ils proposent une bistronomie sophistiquée autour d’un menu surprise composé au retour du marché. Venus de Paris (17e) où ils ont exploité L’Abadache pendant six ans, Yann Piton et Emma Hauser ont eux ouvert le Sylmar, place Sébastopol, en mai 2011. Passé par L’Huîtrière, Yann Piton mitonne une cuisine maison et de saison, goûteuse et envoyée sans chichi. Sa femme Emma renoue, elle, avec ses origines anglaises en proposant notamment le meilleur fish&chips de la métropole, chaque samedi midi.

Le Clarance

Le Clarance

L’effet Top Chef Le passage de Florent Ladeyn à Top Chef en 2013 a vraiment boosté la scène lilloise. Finaliste, il perd à la surprise générale mais bénéficie d’un formidable élan de sympathie initié par deux fans qui lancent une collecte de fonds cumulant 15 000 €. De quoi l’aider à ouvrir, le 4 décembre 2013, son deuxième restaurant, Le Bloempot, rue des Bouchers dans le Vieux-Lille, avec son ami Kevin Rolland. On connaît la suite : le resto ne désemplit pas, et il n’est pas facile d’y trouver une table sans réserver longtemps à l’avance. Présent les mercredi et jeudi soirs, Florent a su s’entourer d’une jeune équipe qui prolonge les fondamentaux de sa cuisine de l’Auberge du Vert Mont, à Boeschepe, magnifiant les richesses du terroir et le respect des saisons. Dans la mouvance de Top Chef et du collectif « Mange, Lille ! », le Vieux-Lille a vu se développer un spot de bonnes adresses. Citons le Gabbro, le Pessoa et, en face, le Jaja (bar à vins), La Royale ou encore le Rouge Barre de Steven Ramon (demi-finaliste de Top Chef, saison 5). Sans oublier Maxime Schelstraete, chez Meert. Ailleurs, dans les quartiers République ou Lebas, Aux éphérites, La Consigne et le Triporteur complètent ce gourmand panorama. Tous se tiennent dans une fourchette de prix comprise entre 20 et 30 € le repas et se tirent la bourre (dans un bon esprit). Et ce n’est pas fini ! « Florent Ladeyn a des projets sous le coude », concède Marie-Laure Fréchet, la présidente de “Mange, Lille !”. « Tous les professionnels du cru ou d’ailleurs se rendent compte du potentiel lillois, ça va bouger très prochainement », assure Kevin Rolland. à suivre…

 

 


Garçon, l’addition !

Clarance
32 Rue de la Barre, Lille +33 (0)3 59 36 35 59, www.clarancehotel.com

La Grenouillère
19 Rue de la Grenouillère, La Madelaine-sous-Montreuil +33 (0)3 21 06 07 22, www.lagrenouillere.fr

Au Gout du Jour
22 Rue de la Barre, Lille +33 (0)3 20 51 23 45, www.augoutdujour.eu

The Sylmar
2 Place Sébastopol, Lille +33 (0)3 20 57 14 39, www.thesylmar.com

Le Bloempot
22 Rue des Bouchers, Lille,  www.bloempot.fr

Auberge Du Vert Mont
1318 Rue du Mont Noir, Boeschepe, www.vertmont.fr

Pessoa
37 Rue Saint-André, Lille +33 (0)3 28 52 40 68, pessoa-lille.tumblr.com

Jaja
36 Rue Saint-André, Lille +33 (0)3 20 51 83 73

La Royale
37 Rue Royale, Lille +33 (0)3 20 42 10 11, www.la-royale-lille.com

Rouge Barre
50 Rue de la Halle, Lille +33 (0)3 20 67 08 84, rougebarre.fr

Meert
27 rue Esquermoise, Lille +33 (0)3 20 57 93 93 23 // rue de l’Espérance, Roubaix +33 (0)3 20 01 84 21 // Galerie du Roi 7, Bruxelles +32 (0)2 503 29 44,  www.meert.fr

La Consigne
27 Boulevard Jean-Baptiste Lebas, Lille +33 (0)3 20 85 87 01, www.laconsigne.fr

Le Triporteur
63 Boulevard Victor Hugo, Lille +33 (0)9 80 57 06 03

Dossier réalisé par François Lecocq

Le Gabbro

3 questions à Simon Pagès et Matthieu Durand

© Fr-Lecocq

© Fr-Lecocq

Simon Pagès, chef de 32 ans, et Matthieu Durand, sommelier de 27 ans, ont ouvert le Gabbro en août 2013. Coup de cœur du Gault & Millau en 2014, le Guide Michelin leur décernait en janvier un Bib Gourmand, récompensant une cuisine de qualité à prix modéré*.

L’offre bistronomique s’est bien développée à Lille ces cinq dernières années, comment l’expliquez-vous ?

M. D. : Difficile à dire car, arrivés à Lille il y a huit ans, nous manquons de recul. Mais une dynamique est en marche, animée par une nouvelle génération de chefs créatifs, et dans un bon esprit. Cela dit, il ne faut pas oublier qu’il existait déjà de très bonnes tables dans la métropole lilloise, comme Le Goût du Jour, L’Atelier Gourmand, Le Carré des Sens ou Le Beau Jardin du Parc Barbieux, par exemple.

La région est-elle un atout pour un chef ?

S. P. : C’est une région riche, contrairement aux préjugés ! On y trouve des poissons formidables grâce à notre fournisseur Christophe Henry, du boeuf et du cochon du Haut Pays, de très bons produits maraîchers, sans compter les nombreux fromages et les boulangers de qualité (Pitman et Brier).

On parle souvent de la cuisine et un peu moins des vins… comment élaborez-vous votre carte ?

M. D. : Je privilégie les vins que j’aime boire, épurés et sans trop de technicité, derrière lesquels le vigneron s’efface pour laisser parler le terroir. Il s’agit souvent d’élevages en biodynamie ou naturels, des Dard et Ribo par exemple. Pour favoriser les découvertes, je propose quatre rouges et autant de blancs au verre que je renouvelle chaque semaine.

* Un Bib Gourmand distingue un menu ne dépassant pas 32 € en province et 38 € à Paris.

55 rue Saint André, Lille, lundi > vendredi, réservation indispensable au +33 (0)3 20 39 05 51

 


 

Aux Ephérites

Fée maison

© A.-Suergiu

© A.-Suergiu

Il a dû attendre six ans pour réunir les fonds suffisants pour créer son restaurant, à deux pas du Palais des beaux-arts de Lille, en mai 2014. Rodolphe Lefebvre, 32 ans, a surtout eu du nez en trouvant le chef qui compose la partition gourmande. Passé par l’étoilé Ô Saveurs de Rouffiac- Tolosan, Alexandre Suergiu, 33 ans, reconnaissable à sa tignasse corbeau ébouriffée, fait preuve d’une imagination sans bornes. Addict du « terre-mer », dénicheur de produits rares qu’il sait rendre abordables (formule à 18 €), il excelle dans le fait-maison, de la terrine de gibier au foie gras, de la bresaola à la pasta, en hommage à sa famille sarde. Le duo associe sens du service (inspiré dans les vins) à une cuisine renouvelée et joyeuse. Celui-ci vient de s’enrichir de la pâtissière Annabelle Lévêque… encore une belle prise gastronomique !

17 rue Nicolas Leblanc, Lille, lun > ven, +33 (0)9 81 31 55 24, www.auxepherites.com

 


Les épicentriques

Epices and love

© F. Lecocq

© F. Lecocq

Il hésitait entre les antiquités japonaises et les épices, et a finalement opté pour les secondes. Une reconversion osée, la cinquantaine venue, après une carrière de 18 ans dans la PAO. Suite à un licenciement économique, Jean-Paul Lafitte a donc créé sa boutique d’épices et de produits culinaires, dans les halles du marché de Wazemmes, en 2013. Baptisée Les épicentriques, elle s’adresse aux particuliers et fournit aussi les meilleures tables de la région. Grâce à un partenariat avec le « sourceur » belge, Rudy Smolarek, elle propose un riche assortiment de denrées aromatiques complété de toutes sortes d’huiles (Alexis Muñoz), vinaigres, cafés (l’Arbre à café), charcuteries (Bellota-Bellota) et autres douceurs (cacao Corallo, fruits confits, miels…). Une caverne d’Ali Baba qui s’enrichit au gré des découvertes de ce passionné. Et autant de produits rares qu’il est le seul à proposer dans la métropole lilloise.

Halles de Wazemmes, Place de la nouvelle aventure, Lille, mar, mer, jeu : 9 h > 12 h, ven & sam : 9 h > 19 h, dim : 9 h > 14 h, +33 (0)3 61 97 16 27, lesepicentriques.blogspot.fr

 


 

Mange, Lille !

Déjeuner sur l’herbe

© Stal Mange Lille

© Stal Mange Lille

Inspiré par un équivalent bruxellois, le collectif « Mange, Lille ! » défend depuis fin 2013 le renouveau des tables lilloises et le dynamisme de leurs jeunes chefs. Localement, via des happenings culinaires avec une équipe à géométrie variable (Ladeyn, Pourcheresse, Ramon, Schelstraete, Rucheton, Delerue…) et à Paris à grands coups de lobby via sa présidente, la journaliste Marie-Laure Fréchet. Ce collectif a organisé une dizaine d’événements dans la capitale des Flandres, lors de Mons 2015, au Salon de l’agriculture… Mais le plus couru fut le grand pique-nique du parc Lebas à Lille, en septembre dernier (plus de 3 000 paniers repas servis). Quelles que soient les critiques, il faut reconnaître que le crew a réussi son pari. Il a revivifié la gastronomie régionale en tordant le cou aux clichés sur Ch’ti land, ses frites et son Maroilles ! Prochain rendez-vous : en septembre dans le centre de Lille !

A visiter / mangelille.com

 

 

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