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Un héros très discret

©Elisabeth Blanchet

Des Smiths à Blur en passant par Pete Doherty ou New Order, Stephen Street a produit de légendaires artistes pop-rock – et même signé Viva Hate avec Morrissey. Rencontre dans le studio londonien de ce « charming man », sculpteur de sons, qui réalise en toute modestie les albums des groupes qu’il affectionne.

Le monde pleure David Bowie ce lundi 11 janvier. Stephen Street confie que Ziggy Stardust est le premier vinyle qu’il s’est acheté. Et question disques, notre homme en connaît un rayon. Il en produit depuis les années 1980. En quoi consiste son job ? « C’est un peu comme réaliser un film », explique Stephen, 55 ans, devant les consoles du studio où il travaille, The Bunker, dans le sud-est de Londres. « Mon rôle, c’est d’aider à modeler le son d’un groupe à un moment de son histoire ». La sienne débute à la fin des années 1970. Stephen galère en tant que guitariste. « Je passais d’une formation à l’autre mais ça ne menait nulle part ». A l’époque, de jeunes ingénieurs du son s’étaient mués en producteurs de type postpunk ou new-wave, comme Steve Lillywhite avec Siouxsie and The Banshees. « Je me suis dit : pourquoi pas moi ? ». Après avoir frappé à plusieurs portes, c’est finalement Island Records qui lui ouvre les siennes. « Un super label, j’avais 22 ans, j’y ai commencé comme assistant ». Au bout de deux ans, il devient ingé-son.

Bonne étoile – « Tout allait bien, on produisait du haut de gamme mais ma vraie percée, celle dont tout le monde a besoin dans l’industrie, eut lieu avec les Smiths ». Rough Trade, le label du groupe mancunien, avait réservé le studio un week-end. « Mon manager m’a demandé si je pouvais m’en occuper. J’ai dit oui ! Et voilà comment nous avons enregistré Heaven Knows I‘m Miserable Now et Girl Afraid en 1984. J’ai tout fait pour les impressionner et leur ai laissé mon numéro de téléphone sans trop y croire… ». Quelques mois passent, puis Rough Trade l’appelle : les Smiths cherchent à produire leur deuxième album avec quelqu’un de confiance. « C’était ma chance. Tellement excitant pour moi de travailler avec eux. On était comme des gamins du même âge dans un magasin de bonbons sans adultes autour de nous ». Cette collaboration durera jusqu’en 1987 et la sortie de leur ultime disque, Strangeways, Here We Come. Observer, « attraper le bon son », influencer la musique comme un membre de l’équipe et finalement co-produire, tel est le but de Stephen. « Bien sûr, il faut ressentir un lien émotionnel et stylistique avec les morceaux en question. Je ne bosse qu’avec des groupes que j’aime et auxquels je peux apporter quelque-chose ».

Viva Morrissey – « Quand les Smiths se sont séparés, j’ai décidé d’envoyer mes chansons à Morrissey ». Stephen savait que le chanteur et Johnny Marr ne fonctionnaient pas de manière conventionnelle. Johnny composait de son côté et donnait ses cassettes à Morrissey qui y ajustait ensuite des textes extraits de ses carnets. Stephen soumet donc un de ses enregistrements au grand homme… qui accepte de sortir son premier album solo avec lui ! « J’ai tout laissé tomber pour me consacrer à ce qui allait devenir Viva Hate. Le succès fut immédiat et je me souviens de l’entrée au hit-parade de Suedehead, le jour de la naissance de mon fils aîné, le 21 février 1988 ». Hélas, les deux hommes se brouillent pour des histoires de royalties. Stephen crée alors son propre label – Foundation -, distribué par Rough Trade. « Ce n’était pas le bon moment, on était en pleine récession à la fin des années 80. L’industrie implosait, Rough Trade allait mal… J’avais investi mon propre argent et ça ne marchait pas. A un moment, j’ai dit stop ».

Le petit groupe qui monte – Le Londonien n’est pas misérable pour autant. Après avoir produit le premier opus des Cranberries, qui reste son plus grand succès international, il s’intéresse surtout à un petit nom qui monte : Blur. « Leur single She’s So High m’a vraiment séduit. J’ai tout de suite vu qu’ils avaient quelque chose… ». Damon Albarn et ses comparses acceptent de rencontrer Stephen dans un pub de l’ouest londonien. « On s’est très bien entendus, on a fait une session test en studio et There’s No Other Way est sorti ». Certes, la maison de disques de Blur retient un autre producteur pour le deuxième album mais Stephen ne lâche pas l’affaire. « J’ai parlé avec Graham Coxon au détour d’un concert. Il doutait et avouait que ce dernier enregistrement s’était mal passé… ». Stephen le rassure et quelques jours plus tard, Damon Albarn lui demande de réaliser le fameux Parklife. La magie opère de nouveau : « J’étais encore plus connecté avec eux qu’avec les Smiths. Comme moi, ils sont de Londres, on sortait ensemble, Graham est devenu un très bon ami. On pouvait faire n’importe quoi, ça sonnait toujours de manière unique. Damon est à un tel niveau… ». Mais après avoir produit les mythiques Parklife (1994), The Great Escape (1995) et Blur (1997), l’aventure s’interrompt à nouveau… avant un retour en force en 2015 à la faveur de The Magic Whip.

Pete, Aline et les autres… Parmi les artistes épaulés par Stephen, Pete Doherty tient une place particulière. « J’ai beaucoup d’affection pour lui. C’est un être humain merveilleux et un compositeur fantastique. Le problème avec Peter, c’est son style de vie et tous ces “vampires” qui l’entourent. J’ai essayé de le soutenir mais ce n’est pas facile. Parfois, on voit dans ses yeux qu’il lutte pour survivre ». Avec Doherty, Stephen se remet à la guitare, inclut Graham Coxon et le trio part en tournée. « C’est ainsi qu’à 50 ans je me suis retrouvé à jouer sur scène à Glastonbury ! ». Côté français, c’est pour les Marseillais d’Aline que Stephen a craqué. « Ce sont eux qui m’ont approché. D’habitude je ne travaille pas avec des groupes étrangers car je tiens à comprendre les paroles ! Mais j’ai fait une exception car leur son me plaisait et j’aime les voix françaises sur la pop ». L’enregistrement se déroule à Bruxelles, et accouche du très réussi La Vie électrique« La France m’intrigue musicalement. Il y a tellement d’influences. Le reggae par exemple : chez vous c’est toujours en vogue alors qu’ici on n’en entend plus. Et puis il y a l’influence anglo-saxonne, africaine et des groupes comme Daft Punk, Air… Je pense que c’est une scène saine : le public est très positif en concert. A Londres, il peut être très cynique ».

Les temps changent – Stephen ne rêve pas d’une collaboration avec un artiste précis. « Je cherche surtout de nouveaux talents et c’est d’ailleurs pour ça que je suis connu ! En ce moment je bosse avec le prometteur Tibet ». Mais les temps ont changé et le métier de producteur est en voie de disparition. « Les ventes de disques sont tellement faibles aujourd’hui que les budgets de production sont eux-mêmes insignifiants ». Il ajoute que de plus en plus de musiciens arrivent en studio avec des maquettes élaborées « à la maison » grâce aux nouvelles technologies, et ont seulement besoin d’un ingénieur pour mixer le tout… Toutefois, Stephen garde son éternelle fraîcheur, à l’affût d’un nouveau magasin de bonbons à dévaliser !

 

Texte & Photo : Elisabeth Blanchet
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