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Roschdy Zem & Omar Sy

Julian Torres / Mandarin cinema - Gaumon

Après Bodybuilder, Roschdy Zem met en scène la vie du premier artiste noir que la France ait acclamé : Rafael Padilla. Cet homme né esclave en 1868 a connu la gloire sous le nom de Chocolat aux côtés de George Footit. à eux deux ils inventèrent la comédie associant le clown blanc et l’Auguste. Dans la peau de ce danseur hors norme, oublié du grand public, Omar Sy est magistral. Rencontre avec deux icônes du cinéma français.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la vie de Chocolat ?

Roschdy Zem : J’ai été séduit par le parcours singulier de cet homme, un immense artiste, qui a été complètement zappé de la mémoire collective.

Comment expliquer un tel oubli ?

R.Z. : A un moment, le cirque a disparu de la scène parisienne pour laisser place au music-hall et au cinéma. Les clowns eux-mêmes sont passés de mode. Même pour Footit ce fut difficile. Et puis, leurs successeurs ne les ont jamais honorés.

Omar Sy : Pourtant ils s’en sont souvent inspirés… Est-ce la Première Guerre mondiale qui a rendu tout le monde amnésique ? On n’a guère de traces écrites. En tout cas, Chocolat n’a pas eu d’héritiers.

R.Z. : Etrangement l’expression « être Chocolat » est restée. Moi-même je l’utilisais sans en connaître la provenance : elle vient bien de Rafael Padilla, comme l’expression « être marron »…

Ce film est-il une façon de lui rendre hommage ?

O.S. : Oui, et puis peu de rôles offrent une telle plongée dans le Paris de la fin du XIXe siècle. Venant de la comédie, Chocolat représentait une chance de montrer une facette différente de mon travail. C’était aussi l’occasion de travailler avec Roschdy, que j’admire.

R.Z. : C’est réciproque. Et je vais vous avouer quelque chose : travailler avec des gens issus des quartiers m’apaise (rires). Je me sens souvent comme un imposteur sur les tournages.

Pourquoi ?

R.Z. : Parce que je viens des quartiers, avec un cursus qui ne correspond pas à celui des autres, techniciens compris. Omar a le même vécu que moi… On se comprend tout de suite (rires) !

Aviez-vous l’intention de signer un film engagé ?

R.Z. : Oui. Mais faire du cinéma est un engagement, même si on raconte l’histoire de « Oui-Oui à la campagne ». Certes, Chocolat comporte une dimension politique, il met en avant le statut d’une minorité dans un pays puissant tel que la France en 1900… Je sais qu’il suscitera des réactions mais je souhaite avant tout offrir au public un film populaire. Et il n’y a rien de péjoratif dans ce terme. Nous avons donc évité toute forme de manichéisme.

Vous offrez une sacrée vue sur le Paris du XIXe siècle…

R.Z. : Nous avons décortiqué les photos d’époque. C’est la reconstitution exacte de Paris au moment de l’exposition universelle, quand on se situe sur le pont Alexandre III. Je ne vous cache pas le choc quand j’ai vu à quoi ressemblait alors la capitale. Avec tous ces palais orientaux construits le temps d’une exposition dont ils garderont seulement le Petit et Grand Palais, sans oublier la tour Eiffel… D’où le regard émerveillé de Chocolat quand il y arrive en calèche.

Certaines scènes sont dures, notamment celle en prison où les matons tentent de blanchir la peau de Chocolat avec un balai-brosse…

O.S. : Elle a aussi été très dure à lire puis à jouer. Mais j’ai réussi à dépasser cela pour obtenir exactement le film que nous désirions ! Peut-être qu’un jour j’en ressentirai les séquelles…

Dans le film, Rafael Padilla est un sans papier. Un fait qu’on ne peut s’empêcher d’associer à l’actualité…

R.Z. : Il y a un parallèle, forcément. En 100 ans, certaines choses n’ont pas beaucoup évolué. Je vous avoue qu’au moment de l’écriture, c’était parfaitement inconscient. De plus, Omar venait de terminer Samba, il n’était donc pas question pour moi de rééditer ce qu’il avait joué. Mais voilà, ça fait parti des aspects de notre société…

Pensez-vous que Chocolat a connu ce succès parce que les gens voulaient voir un noir dans un rôle de dominé ?

R.Z. : La thématique du dominant/dominé est une tradition du cirque. Le fait que Chocolat soit noir a accentué tout ça. Sans compter l’effet de surprise car les duos étaient surtout composés de blancs. Mais il faut rappeler que ce clown était un artiste à part entière ! Il a apporté une nouvelle danse, le « cake walk », une façon de se mouvoir, de jouer, de faire rire comme personne. Il fut un véritable précurseur, que Toulouse-Lautrec a d’ailleurs peint.

Pourquoi ne fut-il pas autant apprécié comme comédien ?

R.Z. : Le public a acclamé Chocolat, mais pas Rafael. C’est le cas pour beaucoup d’artistes. Difficile d’être pris au sérieux lorsqu’on vient de la comédie. Mais Rafael souhaitait avant tout être reconnu en tant qu’homme.

Propos recueillis par Sonia Abassi

De Roschdy Zem, avec Omar Sy, James Thierrée, clotilde Hesme, Olivier Gourmet… sortie le 03.02

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