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A fleur de peau

Photo Yann Orhan

Hubert-Félix Thiéfaine repart en tournée pour défendre son 17e album, Stratégie de l’inespoir. Un de ces néologismes dont l’auteur de La Fille du coupeur de joints a le secret, mais inconsciemment emprunté à Verlaine. Un mot à son image, « ni dans le désespoir, ni dans l’espoir », à la fois enragé et mélancolique, entre la lumière et les ténèbres. Ignoré par sa génération mais reconnu à la fin des années 1990 par la suivante, il a toujours été en avance sur son temps. à 67 ans, le poète-rockeur regarde vers le passé, et parle de lui comme jamais.

Après 17 albums, comment parvenez-vous à toujours trouver l’inspiration ? A 15 ans, quand j’ai écrit ma première chanson, je me suis dit : « c’est peut-être la dernière ». Après plus de 200 morceaux j’en suis toujours au même point: à chaque fois je recommence à zéro. C’est peut-être comme ça qu’on reste frais.

Peut-on parler d’un retour au « rock » avec cet album… Oui. C’est grâce à l’apport de mon plus jeune fils, Lucas, qui a réalisé les arrangements. Je renoue effectivement avec le rock. Je suis un peu exilé dès que je quitte ce mouvement. Mais sans me cloisonner non plus, je me nourris aussi de musique classique, de jazz… je reste ouvert.

Pourquoi revenez-vous maintenant sur le passé ? Auparavant il ne m’intéressait pas, car pas très joyeux. Par contre, en vieillissant, on s’aperçoit que le futur commence à rétrécir (rires). Et le passé revient… Cela amène non pas de la tristesse, mais une certaine mélancolie. Disons que cet album revêt une couleur automnale que j’aime bien.

Dans la chanson Résilience Zéro vous dites : « On n’oublie jamais nos secrets d’enfants – l’instituteur qui nous coursait sa blouse tâchée de sang » Le harcèlement scolaire est terriblement violent, une destruction de la personne, on ne s’en remet jamais. Je connais beaucoup de gens qui ont subi cela de la part d’instituteurs odieux.

Est-il aussi question de vous ? Oui, c’est rare que je parle aussi brutalement de moi. Je l’ai fait car je me suis aperçu que cela existait toujours. Il serait utile de sélectionner davantage ceux qui s’occupent des enfants.

Qu’avez-vous subi ? Je n’ai pas été battu mais, pire que ça, humilié tout le temps, devant les autres, car ces instituteurs entraînaient la classe à se moquer de moi, du « débile »…

Pourquoi ? Parce que j’arrivais dans un établissement public alors que je venais d’une école catholique. Tout est parti du refus de mes parents à mon redoublement, voulu par mes instituteurs. On était dans les années 1950, la guerre entre les cathos et les communistes…

Avez-vous dépassé cela ? J’ai réussi ce que je voulais faire : on n’est pas tant que ça à avoir réalisé ses rêves de gosse. Mais parfois je ressens des faiblesses… On a beau recevoir des diplômes, dans mon cas des disques d’or et des Victoires de la musique, ça ne me touche pas parce que je ne crois pas en moi, c’est comme si on les donnait à un autre.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir artiste ? L’école, encore une fois. J’étais tellement mal que j’ai dû partir. Je me suis retrouvé dans un petit couvent datant du XIe siècle, comme dans le film Le Nom de la rose… mais où l’on était condamné au silence. J’avais 12 ans, envie d’écrire et les chansons constituaient pour moi un formidable moyen d’expression : on peut apprendre sans laisser traîner de papiers.

La musique comme une révolte ? Complètement, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai tout de suite accroché au rock’n’roll. Bob Dylan ou les Stones ont imprégné l’ado que j’étais. Il y a eu Ferré aussi. Et puis Lou Reed, Nick Cave…

Et vous n’avez rien perdu de votre engagement… Oui, mais je ne parle que pour moi, je ne suis pas engagé comme les chanteurs des années 1960 qui se positionnaient en fonction des partis. Je ne suis pas non plus apolitique, je suis un homme trop en colère pour fermer ma gueule (rires).

Comme on l’entend par exemple dans cette chanson, Médiocratie, où l’on sent un regard sans concessions sur notre époque… Oui, je crois qu’on est en train de battre des records de médiocrité en ce moment. Les médias ne sont pas innocents dans cette affaire. De façon générale je suis scandalisé par ce que j’entends ou vois.

C’est-à-dire ? Un rabaissement total du quotient intellectuel. On parle presque à des pitbulls, pas à des humains… C’est là où j’ai une admiration pour Nietzche, qui parle de “l’Ubermensch” : il nous emmène vers le haut. Dans la vie, aussi stupide ou obscure soit-elle, ce qui est intéressant c’est de décider soi-même de se dépasser un peu tous les jours. Or ce que j’entends dans les médias, qui sont un peu les porte-paroles de la société, est d’une nullité totale, et ça me met terriblement en colère.

Propos recueillis par Julien Damien
Concert(s)
Hubert-Félix Thiéfaine
Béthune, Théâtre de Béthune

Site internet : http://www.theatre-bethune.fr

05.02.2016 à 20h3042/38€
Hubert Félix Thiéfaine
Maubeuge, La Luna

Site internet : http://www.lemanege.com

04.02.2016 à 20h0020/15€

A écouter / Stratégie de l’inespoir (sony music)

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