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Des riffs et des lettres

Photo Fanny Latour Lambert

Leur nom a pour origine une toile du peintre Henry Wallis, représentant la triste fin du poète Chatterton. Voilà pour la référence. Celle-ci mêle la beauté et la mort, la gravité et la légèreté. Elle inspira, aussi, Bashung et Gainsbourg. Pas un hasard. Le quintette parisien né sur les bancs du lycée cultive cette tradition du « spoken word » et du beau texte. A la veille d’une tournée et après la sortie d’un (très réussi) premier album, rencontre avec Arthur Teboul, dandy chanteur à la moustache aussi fine que sa plume est aiguisée.

Comment qualifier votre musique ? Elle est le fruit des influences très diverses des cinq membres du groupe. C’est une sorte de grand bouillon où l’on trouve du rock progressif, des Pink Floyd à Radiohead, mais aussi du jazz, du folk et de la pop, de David Bowie à Neil Young, de la chanson française… Disons que c’est du rock poétique.

Que recherchez-vous en écrivant une chanson ? Que la musique et le texte s’épousent pour raconter une histoire. Dans Côte Concorde par exemple, on narre le naufrage d’un bateau, et les guitares imitent les vagues.

Comment faites-vous pour atteindre un tel équilibre entre la musique, les textes et votre phrasé ? Au départ, c’est très chaotique, aucun morceau n’est écrit de la même façon. Parfois le texte est là, et un membre du groupe va proposer une mélodie. Ensuite tout le monde se mêle de tout, il y a beaucoup d’allers-retours et d’accidents heureux… Ça me fait super plaisir que vous ressentiez cet équilibre car c’est vraiment ce qu’on recherche. En cela Gainsbourg et Bashung sont des modèles.

Où puisez-vous votre inspiration ? Pour les textes, ça part souvent de quelque-chose de banal : une expérience vécue, un fait divers… et puis on fantasme, on se dirige vers la mythologie. La Malinche par exemple, c’est d’abord un texto envoyé à une fille éloignée dont on se languit, et puis on romance autour de ça… Idem pour la musique. Ça part d’une petite boucle, puis ça digresse. On se laisse souvent emporter.

Comment les chansons sont-elles recalées ou retenues, qui a le dernier mot ? C’est une décision collective, c’est une vraie démocratie (rires). Chacun y met ce qu’il a de plus intime, et ça peut faire mal, parfois, quand l’autre vous dit : « non, ça j’aime pas, je n’y suis pas sensible… ». Mais personne n’a le dernier mot.

L’album était très attendu… Oui, on a beaucoup attiré l’attention avec un seul EP. C’est réjouissant bien sûr, mais ça nous a aussi mis la pression. La peur de décevoir est encombrante quand on veut créer librement. Alors, on a eu besoin de s’isoler : on est partis trois semaines en Suède pour enregistrer cet album en mars.

On y perçoit une patine très « années 70 »… On aime beaucoup cette période. C’est un truc sur lequel on se retrouve tous les cinq. à cette époque il y avait une vraie culture des groupes. Et puis on enregistrait en live. Ce qui est assez rare aujourd’hui car les artistes ont tendance à chercher la prise parfaite. Samy Osta, qui a produit notre EP ainsi que le premier album de Rover et de La Femme nous a incités à renouer avec cette spontanéité. Pour un jeune groupe c’est périlleux : on prend le risque de garder les imperfections… qu’on chérit désormais ! Il y a aussi une raison plus technique…

Laquelle ? On a bossé sur une console de mixage des années 1970, qui restitue ce son très saturé, boisé. Ça n’intéresse plus grand monde car ce sont des bêtes indomptables, qui déconnent souvent. Il n’en reste que cinq ou six dans le monde. Elle a d’ailleurs été utilisée pour réaliser Heroes de David Bowie.

Feu! Chatterton, c’est aussi un groupe de scène… Oui, alors qu’on adorerait être un groupe de studio (rires). On nous dit souvent que c’est sur scène que notre propos reste le plus cohérent. Notre musique est faite d’élans, de ruptures, une dynamique qui se ressent mieux en live.

Comment vous vivez ce succès soudain ? C’est à la fois lourd et flatteur, mais on ne s’en rend pas trop compte. Alors, oui, de temps en temps, on me reconnait dans la rue, c’est sympa (rires), mais on reste loin de la vie de stars. Notre quotidien c’est : un camion huit places dans lequel on parcourt la France pour livrer des concerts.

Avec qui vous aimeriez travailler aujourd’hui ? Christophe, Bertrand Cantat, Daho… Il y a aussi un rappeur que j’aime beaucoup : Jazzy Bazz, qui a sorti l’année dernière Sur la route du 3.14. Il revient avec un nouveau titre en hommage aux attentats de Paris. Après, si on rêve vraiment, David Bowie ça pourrait être pas mal (rires).

Quel regard portez-vous sur le rock français ? Dans les années 2000 il y a eu un petit creux mais on fait, aujourd’hui, partie d’une génération où beaucoup se remettent à chanter en français de façon décomplexée. Le rock hexagonal actuel ne se cantonne plus à un style, il rassemble plein de groupes singuliers : La Femme, Grand Blanc, Moodoïd… C’est chouette. L’histoire de la chanson française est elle-même très riche : Gainsbourg, Bashung, Léo Ferré, Brassens, Brel, Barbara… Je crois que c’est un truc qu’on a en commun avec cette nouvelle scène.

Quels sont vos projets ? On tourne jusqu’à l’été prochain. On pense à un deuxième disque, un album-concept qui raconte l’histoire d’une princesse captive, dans une ville moderne. Une petite frappe la voit à sa fenêtre et veut l’emmener… Notre titre La mort dans la pinède en sera la conclusion. On vient de sortir un disque assez réfléchi, là on a envie de s’amuser.

Propos recueillis par Julien Damien
Concert(s)
Feu! Chatterton
Beauvais, L'Ouvre-Boîte

Site internet : http://www.asca-asso.com/

22.01.2016 à 20h3016>3€
Feu! Chatterton
Arras, Théâtre d'Arras

Site internet : http://www.tandem-arrasdouai.eu

28.01.2016 à 20h008€
Feu! Chatterton
Lille, L'Aéronef

Site internet : http://www.aeronef-spectacles.com/

29.01.2016 à 20h0022>10€

A écouter / Ici le jour (a tout enseveli), Barclay/Universal

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