Home Best of Interview Bertrand Belin

De pied en cap

©Philippe Lebruman

Bertrand Belin, c’est avant tout une voix. Grave, chaude, rythmée. Elle a pris du coffre le long de cinq LP dont le plus récent, Cap Waller, confirme le talent de ce chanteur hâtivement rangé au rayon folk. Son envergure est bien plus vaste. Également romancier, comédien, le songwriter évoque ce nouvel album. Et ses activités annexes, aussi.

 

Quelle est l’histoire de Cap Waller ?

Comme le précédent, Parcs (2013), j’ai enregistré cet album à Sheffield afin de poursuivre le travail en studio avec Mark “Shez” Sheridan (ndlr : le guitariste de Richard Hawley). Le « Cap » évoque un relief qui fait passer d’un monde ou d’un océan à l’autre. Au-delà de l’idée de surplomb et d’observation, j’aimais cette rupture. C’est également un hommage à Hugh Waller, qui interprétait des chants ouvriers, des chansons de lutte du début du siècle. Celles-ci demeurent pertinentes, car les gens de basse extraction sont en proie aux mêmes difficultés.

Vous aviez conçu Hypernuit (2010) sans coucher les textes sur le papier. En est-il de même pour Cap Waller ?

Oui, je fonctionne ainsi depuis Hypernuit. Cela permet de faire “réfléchir le larynx” sans passer par le cerveau. Il n’y a pas que le sens du mot qui compte, mais la façon dont il est dit. S’il y avait un texte, je serais tenté de le modifier, de l’ordonner. J’ai voulu me défaire de l’ornementation, de la rime, de la page. Ces mots sont destinés à être entendus dans un contexte musical, pas forcément à être lus.

On a l’impression qu’Hypernuit fut un album de rupture. Contrairement aux deux premiers albums, vous avez pris une voix plus grave, vous avez arrêté de chanter…

Dire que j’ai arrêté de chanter serait exagéré, car je ne parle pas ainsi au quotidien. Les mélodies ne sont pas d’une grande amplitude, mais ce n’est pas du talk-over, il y a certains mélismes*. Sur mes premiers albums, ma voix était plus haute, car je chantais des romances. Elle a effectivement changé en 10 ou 15 ans. J’ai peut-être fait une mue tardive. (Sourire)

Les deux singles extraits de l’album, Folle, Folle, Folle et Je Parle En Fou sont très accrocheurs…

Je Parle En Fou est sans doute plus facile d’accès. C’est une chanson isolée dans l’album. Pour une fois, le texte a été écrit, sa forme est plus classique, avec des rimes, des stances* anciennes. Ronsard mêlé à de la chanson sociale, avec un rythme qui va de l’avant. Folle, Folle, Folle est une exploration de musicien. Cette montée en tempo naît de l’envie de se renouveler. J’ai toujours considéré que la batterie donne le son d’un album. Ici, elle est susceptible de mettre le corps en mouvement, un peu comme chez The Meters, dans le funk, le jazz. Ce n’est pas une pulsation de confort comme on l’entend dans la variété.

Il faut donc évoquer le rôle de Thibault Frisoni (guitare, basse, clavier) et Tatiana Mladenovitch (batterie)

Nous jouons ensemble depuis 10 ans et nous travaillons sur les chansons des uns et des autres. Nos univers s’enrichissent mutuellement. J’écris, compose et joue seul tous les instruments en studio. Puis Thibault et Tatiana modifient, augmentent ces parties. Ce sont des musiciens que j’admire, je veux les séduire pour les garder auprès de moi. On est comme un groupe, sauf qu’il m’arrive assez souvent de jouer seul sur scène.

Vous êtes également romancier (Requin, 2015) et avez joué dans Spleenorama, une pièce de Marc Lainé. Dans quelle mesure ces activités annexes ont-elles nourri cet album ?

Il est difficile de dire quelle activité influence l’autre. J’ai écrit Requin pour déployer des idées, aborder des problématiques plus ou moins graves. Pour travailler la langue avec une syntaxe différente de la chanson. J’ai écrit six ou sept morceaux pour Spleenorama. Parmi eux, D’une Dune et Que Tu Dis se retrouvent sur l’album. La différence c’est qu’au théâtre, le public est silencieux. En concert, on est fréquemment sanctionné par des applaudissements. Ou des sifflets. (Sourire)

Propos recueillis par Thibaut Allemand
Concert(s)
Bertrand Belin + H-Burns
Tourcoing, Le Grand Mix

Site internet : http://www.legrandmix.com/

27.11.2015 à 20h0019/16/5€
Bertrand Belin + Ivan Tirtiaux + Olivier Terwagne
Bruxelles, Botanique/Orangerie

Site internet : http://www.botanique.be

28.11.2015 à 20h0023/20/17€

* Mélisme : en musique, technique consistant à charger, dans un texte, une syllabe de nombreuses notes.
* Stance : groupe de vers au nombre défini et servant un sens complet.

 

Cap Weller: Depuis Hypernuit (2010), Bertrand Belin est en pleine lumière. Ce cinquième LP s’inscrit dans une continuité tranquille – celle de Parcs (2013). L’homme à la voix grave et chaude fait rouler sa rocaille verbale. Les syllabes s’entrechoquent. Elles sont physiques. Percussives. Comme un écho aux toms de Tatiana Mladénovitch (batterie). En harmonie avec les claviers lumineux de Thibault Frisoni. Faussement folk, vraiment autres, littéraires sans ostentation, ces onze chansons enregistrées à Sheffield ne révolutionnent pas la formule Belin. Mais élargiront l’audience d’un chanteur qui creuse le même sillon. Sans jamais lasser. Ni se trahir.

 

 

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