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Deux hommes extraordinaires

Photo Richard Dumas

Plus de quinze ans ont passé depuis Les Innocents, chef-d’oeuvre éponyme du groupe à qui l’on doit Jodie, L’autre Finistère ou Colore, qui ont par éclats transformé notre jeunesse en Monde Parfait. Entre-temps, JP Nataf a sorti deux merveilles en solo, et a renoué patiemment les fils avec son compère Jean-Christophe Urbain, de retrouvailles en concerts impromptus, avant de se lancer à deux dans l’aventure tant espérée d’un cinquième album couleur Mandarine. Conversation croisée avec deux esprits pop enfin amis.

Comment est née cette reformation ?

JC : En plusieurs étapes. Quand j’ai quitté le groupe en 2000 c’était tendu, mais avec JP on n’avait jamais vraiment été amis de toute façon ! On s’est retrouvés trois ans plus tard et, là, c’est devenu de l’amitié. Puis on a été pris dans un traquenard, à devoir jouer ensemble des vieux titres sur un festival où j’accompagnais Jil Caplan. On a pris goût à ce qu’on n’avait finalement jamais fait : jouer nos chansons juste tous les deux.

JP : Et pourtant, Les Innocents, c’était vraiment notre bébé. On était un binôme de travail, comme Voulzy/Souchon, ou Coxon/Albarn, mais on n’avait jamais eu l’opportunité de défendre toutes ces chansons en duo. On a découvert sur le tard cette connivence. Le déclic pour l’album a été plus long. Au début, on voulait simplement retrouver le plaisir physique de jouer. Puis, fabriquer des chansons s’est avéré aussi excitant. On aurait pu n’en composer qu’une, on en a fait dix.

Ressentiez-vous du trac à l’idée de reformer le groupe ?

JP : Un peu, pour l’enregistrement en studio. Mais la pression du début a été évacuée lors des premiers concerts. Leur rythme assez calme, c’était comme une balade à vélo avant d’avoir fini de réparer la bagnole !

JC : Il y avait aussi l’angoisse de casser cet instant de grâce. La première chanson qu’on a écrite, Les Philharmonies Martiennes, nous a rassurés : on avait gardé le truc.

Justement comment avez-vous abordé l’écriture ?

JC : Quand on a commencé à composer Mandarine, on venait de jouer nos meilleurs morceaux en public, donc la barre était un peu haute. La suite devait être d’aussi belle facture. En abordant chaque titre comme une chanson anglo-saxonne, sans se focaliser exclusivement sur le texte.

JP : C’est tout l’enjeu ! Mon étalon, c’est le juke-box de mon enfance, avec trois singles magiques perdus au milieu de plein de trucs que je n’aimais pas. De temps en temps, tu avais Golden Years de Bowie ou les Sparks qui me rendaient dingue ! On demandait une pièce aux parents et c’était parti pour cinq minutes de rêve.

Mandarine est-il la suite directe du précédent album ?

JC : Je l’espère. On a tout fait pour qu’il ne soit que le cinquième des Innocents, et pas le prétexte du come-back.

JP : Mandarine pourrait être la suite directe de n’importe quel autre album. C’est toujours nous. On révèle peut-être une patine aujourd’hui, rapport à nos âges, mais notre musique ressemble à celle d’il y a 25 ans. On cultive toujours des chausse-trapes harmoniques, une langue qui ne sonne pas « chanson française », mais pas anglaise non plus. Des morceaux qui vont de l’avant comme ceux des Beatles, ou comme un petit train.

Retrouver vos anciens morceaux a-t-il été un plaisir ?

JP : étonnamment, oui. Au-delà de l’excitation, je me demandais si vingt ans après j’aurais autant envie de rejouer L’Autre Finistère… Finalement on a pris un immense plaisir. Je me suis surpris à chanter Un Homme Extraordinaire vraiment pas comme un poids qu’on trimballe.

JC : On redécouvre le plaisir de les chanter et on mesure l’affection du public. Notre chance est là : on a quelques chansons qui séduisent, ce sont elles les stars, pas nous.

JP : Il y a une bienveillance générale à notre égard parce qu’on a accompagné un moment la vie des gens.

Cela vous fait quelque chose de revenir en même temps que Blur ?

JP: C’est comme si rien n’avait changé durant notre « absence ». Eux avaient plus de trucs à régler que nous je pense ! Nous, dès 2003 on était de nouveau -ou plutôt nouvellement- meilleurs amis du monde !

Une certaine humilité entoure votre retour: petites salles, arrangements qui ne sautent pas à la figure…

 JC: En fait on est un peu moins humbles aujourd’hui ! On a envie de mieux savourer. A l’époque on avait cette humilité, peut-être fausse d’ailleurs… On n’a pas profité à fond de ce succès, mais désormais on a envie de le faire !

Le son du nouvel album nous oblige à plonger dedans, c’est aquatique…

JC : Les chansons sont alambiquées mais lisibles. Elles ont quelque chose de sous-marin, oui. On voyage d’une émotion à l’autre. J’ai tendance à donner de la légèreté quand JP est plus sombre, et inversement.

JP : On suit nos intuitions. En studio, l’un peut tirer vers le son Motown pendant que l’autre élabore une phrase façon Dominique A, puis le premier revient avec une mandoline en pensant à Cesaria Evora… On a envie de se séduire, se chamailler et s’impressionner, comme un couple.

Peut-on s’attendre à d’autres albums des Innocents ?

JP : Si l’envie est là. Ces quinze dernières années nous ont permis de nous rendre compte qu’on pouvait « faire sans ». Il n’y a pas d’obligation vitale. Je n’avais pas prédit l’arrêt du groupe, je ne vais pas prédire qu’il va durer ! En tout cas, on s’est retrouvés pour de très bonnes raisons. On est comme un couple libre.

Propos recueillis par Rémi Boiteux
Concert(s)
Les Innocents
Bruxelles, Botanique/Orangerie

Site internet : http://www.botanique.be

01.11.2015 à 20h00Complet !
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