Home Littérature La BD sort de ses cases

Voyage au cœur d’une nouvelle aventure éditoriale

Stefan Van Dinther & Tobias Schalken, éd. Frémok

Au carrefour de la narration et des arts plastiques, la bande dessinée se réinvente constamment. Tant du point de vue graphique que de l’objet lui-même. Plus de bulles ni de cases, mais des planches désormais dignes des toiles de maître, des ouvrages cubiques voire interactifs. Qui sont ces auteurs et éditeurs qui ont choisi de raconter des histoires autrement ? Voyage au cœur d’une nouvelle aventure éditoriale.

La bande dessinée classique, soit un bel album relié de 48 pages en couleur, alignant de sages vignettes et phylactères au service d’une narration linéaire, tremble sur ses bases. Certes, depuis près de quarante ans des discours de rupture se font entendre. Mais, cette fois plus que jamais, l’école belge associée à Hergé (la ligne claire*), est défiée par un « graphiquement incorrect », au-delà des genres répertoriés comme le manga, les comics et le roman graphique. Nombre d’auteurs ont radicalisé leur approche et ne se contentent plus des supports traditionnels – notamment le livre et l’album. Bien décidés à casser le moule, ils brouillent la frontière avec l’art contemporain. Ils conquièrent l’espace avec des volumes, des papiers peints, des vidéos et l’on admire désormais leurs œuvres au musée ou dans les biennales internationales.

 

Des noms ?

L’art contemporain et la BD se tournent autour depuis longtemps. On sait que Druillet a exploré avec réussite la sculpture et la peinture (il fut l’un des premiers auteurs de BD cotés sur le marché de l’art). De son côté, Bilal dessine ses cases séparément, comme de petits tableaux avant de les assembler sur ordinateur pour former une planche… Mais désormais, le phénomène s’emballe, ces auteurs d’un nouveau genre sont récompensés de toutes parts. à l’image du jeune surdoué Brecht Evens, qui mêle l’aquarelle à la gouache, rivalise d’effets de matière et jongle à l’envi entre figuratif et abstrait. Le dernier festival d’Angoulême a aussi rendu hommage à Alex Barbier, qui a publié une dizaine d’ouvrages introduisant une technique picturale étonnante qu’il appelle « ligne brouillée». Grâce à un flacon de Correc-bille (produit capable d’effacer l’encre des stylos bille vendu dans les années 1980), il dilue ses couleurs, comme avec de l’eau de javel, et travaille avec des tons complètement inédits nous rappelant plus Francis Bacon que Gaston Lagaffe.

 

L’objet rare.

Au-delà du trait, le support luimême est remis en cause. Cartes à jouer qui déterminent des histoires mouvantes, lectures diverses en fonction du calque bleu ou rouge que l’on applique sur la page… Autant de pratiques ludiques où le lecteur devient un acteur de l’histoire. Dans ce domaine, les éditeurs L’Employé du moi, comme Frémok, multiplient les approches : livres carrés, longs, larges, format à l’italienne… Yannis La Macchia, éditeur chez Hécatombe, le confirme : « À travers ces expériences, nous souhaitons redonner une singularité au livre et le replacer au cœur du projet éditorial ». Le Cube, numéro C de la revue FZN, a d’ailleurs reçu le fauve de la BD alternative. Produit uniquement à 999 exemplaires (tous sérigraphiés), cet ouvrage de 900 pages est devenu un objet de collection.

 

Frontières.

Les « majors » de la bande dessinée ont également investi le marché de l’art – comme Glénat, qui a ouvert sa propre galerie. Vente de planches ou de tableaux, la BD attire les spéculateurs de tout poil. Face à eux, les éditeurs indépendants poursuivent leur travail à la marge. Notamment en se plaçant en dehors du circuit des concurrents plus aisés : galeries donc, mais aussi squats, événements publics… Il s’agit de s’ouvrir à d’autres milieux artistiques, quitte à gommer les frontières. « Nous cherchons à décloisonner ces petits milieux qui se frôlent sans se toucher », affirme Clément Vuillier des éditions 3 fois par jour. Yvan Alagbé, co-fondateur de Frémok, ne dit pas autre chose : « BD, arts plastiques, art contemporain… ce sont des critères qui s’opposent, alors que c’est la même chose. Ce n’est qu’une continuité, des pratiques de l’image ». Et une autre façon de raconter des histoires. Car là est l’essentiel.

 

* Ce terme a été inventé en 1977 par le dessinateur néerlandais Joost Swarte, à l’occasion de l’exposition Tintin de Rotterdam. Souvent utilisée pour désigner un style graphique peu exubérant, l’expression ligne claire correspond cependant à des choix précis et rigoureux, que peu de dessinateurs sont parvenus à épouser.

 

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François Annycke & Christophe Delorme
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