Van Gogh au Borinage
Et Vincent devint Van Gogh
Mons 2015Rarement une exposition aura disséqué avec une telle précision la naissance d’un artiste, a fortiori d’un génie tel que Vincent Van Gogh. Le Musée des beaux-arts de Mons (BAM) retrace son séjour au Borinage, entre 1878 et 1880, où s’est révélée son ambition. Quelque 70 œuvres – des toiles rares du maître, mais aussi ses premiers dessins, ses modèles – nous dévoilent l’apprentissage du peintre hollandais. Un voyage fascinant et émouvant.
Plongées dans la pénombre, par souci de conservation, sept lettres ouvrent le parcours. De petits papiers qui révèlent une écriture délicate, une très belle plume, et surtout un désir : celui de devenir artiste. Dans une de ces correspondances qu’il entretient avec son frère Théo, datée du 24 septembre 1880, Vincent Van Gogh annonce ses intentions : « Il s’agit pour moi d’apprendre à bien dessiner, à être maître soit de mon crayon, soit de mon fusain, soit de mon pinceau, une fois cela obtenu, je ferai de bonnes choses presque n’importe où, et le Borinage est tout aussi pittoresque que le vieux Venise… ». Voilà l’acte de naissance du peintre.
Echecs à répétition.
Après ses carrières avortées de commis à la galerie d’art Goupil & Co, puis d’instituteur ou de libraire, c’est en tant que prédicateur protestant que Van Gogh arrive dans le bassin minier wallon, en décembre 1878. Il a 25 ans, et est accueilli pour une période d’essai de six mois à Wasmes, puis à Cuesmes, pour évangéliser les communautés rurales. D’origine aisée, le Néerlandais adopte les conditions de vie difficiles des mineurs et paysans. La découverte de ce monde dur et pauvre va le marquer à jamais. Mais cette mission s’avère un nouvel échec. Van Gogh entre alors dans une profonde dépression. Une période durant laquelle on ne sait pas trop ce qu’il fait, si ce n’est qu’il part un temps à Courrières (Pas de Calais).
Entraînement intensif.
Et puis, il se remet à écrire à son frère, pour lui faire part de ses projets artistiques. « Théo le soutient, il sait que le dessin pourrait le sortir de cet état », indique Caroline Dumoulin, coordinatrice de l’exposition*. Il se fait envoyer Les Exercices au fusain de Charles Bargue, Le Guide de l’alphabet du dessin de Cassagne, Les travaux des champs de Jean-François Millet. Malgré sa connaissance du milieu de l’art, Van Gogh a en effet tout à apprendre, de la perspective à l’anatomie. Ainsi, les premiers dessins réalisés au Borinage témoignent d’un trait d’abord maladroit. « Au départ, il n’avait aucun talent et savait qu’il devait travailler ». Autodidacte, « très discipliné », il produit alors des dizaines de copies, dont ce Moissonneur à la faucille d’après Millet, réalisé à Cuesmes en 1880 et montré pour la première fois en Europe. Parmi tous ces dessins exposés au BAM, seuls cinq de ceux conçus au Borinage ont été retrouvés. Les autres ayant été détruits par l’artiste ou, vraisemblablement, donnés.
Trace indélébile.
Ce séjour dans les environs de Mons demeure une période brève, mais essentielle dans l’œuvre de Van Gogh, qui puisera continuellement dans ses souvenirs de Belgique pour peindre : lors de son retour aux Pays-Bas, durant son passage dans le sud de la France ou son internement à Saint-Rémy-de-Provence. Des scènes au contact des ouvriers, des paysans, des tisserands qu’on retrouve ici sublimées dans une série de portraits, des représentations de chaumières (qu’il appelait des « nids d’hommes »), ou encore à travers Les Bêcheurs, Le Semeur, La Veillée, où explose son style, cette fois en grand format. Oui, le génie de Van Gogh est né au Borinage. Et le Borinage n’a jamais quitté Vincent.
*Exposition montée par Sjraar Van Heugten, ancien directeur de collection du musée Van Gogh d’Amsterdam.
Œuvres commentées par
Caroline Dumoulin, coordinatrice de l’exposition
Le Moissonneur à la faucille
” Cette peinture a été réalisée lors de son internement à Saint-Rémy. On y retrouve les couleurs utilisées par Delacroix, notamment ce jaune que Van Gogh appréciait tant. Il y a déjà ici une sorte de distanciation, de réinterprétation du sujet. Le dessin date lui de 1880. C’est une copie très proche d’une gravure de Millet, Travaux des champs. A cette époque, Van Gogh est encore au Borinage. C’est l’un des rares dessins de cette période qui a été préservé. Il a été retrouvé dans un petit musée privé, à Shimoda au Japon, dans le cadre des recherches menées pour cette exposition. Jusque-là on ignorait son lieu de conservation. C’est la première fois qu’il est montré en Europe, et que ces deux œuvres sont réunies. ”
Rue à Auvers-sur-Oise
” Van Gogh emménage à Auvers-sur-Oise, non loin de Paris, car il a entendu parler de la présence d’artistes célèbres comme Pissarro. Il rejoint le Nord qui lui manquait réellement et, surtout, fait la rencontre du docteur Gachet qui va vraiment l’aider dans sa lutte contre la maladie. Durant cette période il réalise 70 peintures en dix semaines, dont des portraits et de nouvelles vues de chaumières. C’est l’une de ses dernières œuvres. Contrairement aux apparences, elle est bien achevée. C’est indéniable lorsqu’on observe le ciel : le blanc ressort fortement en arrière-plan et il y a différentes touches de bleu apposées, mais pas complètement. A cette époque le maître hollandais expérimente énormément. On est tenté de le comparer aux peintres fauves. Lui ne se considérait pas comme tel mais les fauvistes y ont vu les prémisses de leur courant. C’est exceptionnel d’avoir ce prêt, le tableau a été acheminé de Finlande par bateau. ”
Les Bêcheurs
“Van Gogh a copié 12 versions des Bêcheurs d’après Jean-François Millet. On en conserve trois. Deux sont présentées ici. Une est issue du Kröller-Müller Museum, et l’autre du musée de la ville de Mons. Ces deux œuvres sont mises en parallèle avec une toile réalisée en 1889, lors de son séjour à l’asile Saint-Paul de Mausole, à Saint-Rémy. Van Gogh est alors en pleine dépression mais demeure nostalgique de son passage au Borinage. Il demande à son frère de lui faire parvenir cette gravure. Ici, on a une sorte de réinterprétation du sujet. On y voit l’évolution du style de l’artiste, la maîtrise de sa technique, de la couleur, et le fameux bleu de Delacroix. ”
La Veillée
“C’est un tableau qu’il réalise lors de son internement à Saint-Rémy d’après Les quatre heures de la journée de Jean-François Millet. Nous voilà face à La Veillée. C’est une œuvre qui présente vraiment l’aboutissement de la technique de Van Gogh. On y reconnaît sa touche, ce travail de la couleur, notamment au niveau du jeu d’ombre. Il est assez exceptionnel de voir cette superposition de lignes. Étrangement, il travaille sur de très grands formats, contrairement au début de sa carrière, où il concevait des dessins relativement petits. Ici on sent que l’artiste prend de l’assurance. C’est aussi l’un des derniers tableaux de sa vie. Il faut savoir qu’à ce moment-là, Van Gogh acquiert une certaine notoriété. Il expose et est demandé dans des salons d’avant-garde, il vend. Il commence à percer mais, hélas, la vie en veut autrement…”
Le Semeur
“On a sélectionné ce tableau pour la campagne de promotion de l’exposition car c’est une œuvre emblématique de l’artiste : la thématique du semeur a en effet beaucoup été travaillée tout au long de sa carrière. Cette œuvre a été réalisée en 1890. A cette époque Van Gogh se trouve à Saint-Rémy où il est interné. Il demande à son frère de lui faire parvenir les gravures d’après Millet – Travaux des champs – On peut voir dans la vitrine située derrière cette toile une gravure sur laquelle il a reporté un quadrillage pour pouvoir reproduire cette œuvre en grand format. On remarque encore une fois une certaine distanciation par rapport au sujet d’origine, on sent que Van Gogh prend une certaine liberté au niveau du dessin, et il intègre cette fois la couleur. Remarquons que la couleur dominante était normalement le bleu-pourpre, le fameux bleu de Delacroix, alors qu’on voit ici que l’œuvre présente une coloration gris-bleu. Il faut savoir que toutes les œuvres réalisées par Van Gogh à partir de cette période dans le sud de la France ont tendance à se décolorer. Ceci est lié aux pigments qu’il utilisait. Hélas, on ne peut rien y faire, si ce n’est proposer un éclairage adapté de 75 lux maximum. “