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L'art de la chute

Yoann Bourgeois est un insatiable curieux qui s’est formé à la croisée du cirque et de la danse. Depuis 2010, il écrit des spectacles abordant le thème de la chute d’une poésie renversante. Virtuose refusant toute démonstration, ce trentenaire défie les lois de la pesanteur mais révèle une grande force d’attraction.

 

Quel est votre parcours ? J’ai découvert le cirque au lycée, au moment où l’on est assailli par les questionnements d’orientation. D’emblée j’y ai vu toute une vie, des possibilités d’invention infinies, pas simplement un métier. J’ai fait une série d’écoles, en commençant par celle du Cirque Plume, que j’ai quittée pour faire un voyage en Roumanie et découvrir la culture tzigane. J’ai eu la chance de me former à plusieurs disciplines, en particulier le jonglage et la voltige. Puis un jour j’ai vu la pièce Umwelt de Maguy Marin qui m’a bouleversé. Je l’ai rencontrée et elle m’a proposé d’intégrer la compagnie. L’aventure a duré cinq ans. Et peu à peu j’ai eu le désir de montrer mon travail.

 

De là comment est née votre compagnie? Pendant mes années d’interprète chez Maguy Marin, chaque été je proposais l’Atelier du joueur. Des semaines intensives de jeu, d’échange avec des gens issus de différents champs artistiques. Certains sont revenus d’année en année et ont constitué les visages de la compagnie, qui est née en 2010 à Grenoble. Cette année là j’ai créé mon premier spectacle, Cavale.  La pièce a rencontré un gros engouement et l’aventure est partie de là.

 

Que retenez-vous à la fois du cirque et de la danse dans votre travail ? J’ai une attirance pour les singularités de chaque discipline. Le cirque est une technique sensée devenir « artistique » en se confrontant au théâtre ou à la danse, comme s’il n’avait pas en lui-même son propre potentiel. J’ai toujours regretté ça. J’ai  intégré un certain nombre de savoir-faire et maintenant je me sens assez libre d’employer différentes matières.

 

 

A quoi ressemble votre cirque ? Dans ma tête il y a un cirque imaginaire. L’Homme n’y est ni au centre de la piste ni au centre de l’univers, il coexiste avec des animaux ou des machines mais sans les dominer. Ce qui diffère du cirque traditionnel où l’Homme doit montrer qu’il maîtrise la nature. La question qui m’anime c’est : qu’est-ce qui nous traverse, quelles forces nous traversent ? Ma démarche consiste à soustraire : je recherche l’essence d’une chose, de la chute par exemple. J’essaie de débarrasser, d’enlever plutôt que d’être dans la surenchère. Je me dis souvent – c’est une formule de Paul Klee – « capturer les forces plutôt que reproduire les formes ».

 

 

Comment travaillez-vous ?  Je travaille à partir de formats courts, des esquisses. Après 4 ou 5 années de compagnie je vois se dessiner une constellation de petites formes qui gravitent autour d’une même recherche : le point de suspension. Tentatives d’approches d’un point de suspension est ainsi constitué de six pièces courtes. C’est un programme infini, qui s’enrichira au fur et à mesure de nouvelles esquisses, qui à leur tour viendront nourrir d’autres pièces de format plus long… J’aime que l’on puisse voir le processus de travail sur scène, c’est très précieux pour moi. Il y a une saveur dans la recherche que je trouve formidable de pouvoir partager avec le spectateur.

 

Et ce point de suspension, qu’est-ce que c’est, comment jouez-vous avec ? Plus qu’une obsession cette recherche est devenue une nécessité vitale. Capter un point de suspension c’est essayer de rendre perceptible l’instant, c’est une sorte de présent absolu. C’est un rapport au poids aussi : en jonglage quand un objet est lancé en l’air, le moment où il atteint le plus haut point de la parabole, avant la chute, on appelle ça le point de suspension. Ça dure une fraction de seconde, à peine, et c’est ce qui m’attire, cet endroit où les forces s’équilibrent parfaitement. Je cherche ça à la fois dans mon rapport aux objets, mais aussi dans le rapport aux spectateurs.

 

C’est-à-dire ? Je ne veux pas instaurer un rapport de pouvoir, mais développer un langage qui génère une foule d’interprétations. Le regard de l’enfant est pour moi aussi important que le regard de n’importe qui. Il ne s’agit pas de dire que tout se vaut, mais que chacun peut exercer la singularité de son regard, et c’est dans l’espace d’un théâtre que cela est possible. Parce qu’au dehors le monde n’arrête pas de créer des rapports de force violents, alors que des sensibilités et des regards pourraient coexister plus sereinement.

 

 

 

 

Parlons de Celui qui tombe, quel est le point de départ de cette pièce ? Le désir était de soumettre un petit groupe d’individus à différentes contraintes physiques. C’est un corps à corps entre les interprètes et le décor : un grand plateau en bois, carré, sur lequel ils essaient de se maintenir à la verticale. Un mécanisme placé sous le sol créé une force centrifuge et le fait tourner très vite sur lui-même. Le plateau est en équilibre et la première consigne que j’ai donné à mes interprètes c’est : «  essayez de tenir debout ». C’est une lutte, et on voit les stratégies déployées pour tenir.

 

Vous avez écrit la pièce en jouant avec ce dispositif ?  Oui, on a travaillé en fonction des contraintes de la matière elle-même. Il y a beaucoup d’imprévus dans la création, et soit on essaie de les gommer, soit on s’en sert. Par exemple quand on monte sur le plateau le bois craque, grince. Selon la façon dont on se déplace les bruits sont très différents et j’ai trouvé ça vraiment riche, ça m’a fait rêvé. La bande sonore a été construite à partir de cet inattendu.

 

Et qu’en est-il des Paroles impossibles, pièce sur laquelle vous travaillez actuellement ?  C’est un nouveau chantier, qui va se poursuivre pendant deux ans. L’idée de départ c’est un homme qui se tient seul devant un micro, et quelque chose l’empêche de prendre la parole. C’est un solo, mais encore une fois ce qui m’intéresse c’est ce qui nous traverse collectivement, la façon dont ce que je ressens peut résonner chez quelqu’un d’autre. Je suis en cours de travail, je ne sais pas encore à quoi ça va ressembler ni à Arras, ni dans deux ans. Ce n’est pas un hasard si dans mes spectacles les gens parlent rarement, ou que leurs mots résonnent dans le vide. C’est là aussi un rapport de force mais presque perdu d’avance.

 

 

A voir  : www.cieyoannbourgeois.fr

Propos recueillis par Marie Pons
Informations
Tentatives d’approches d’un point de suspension…05.12.2014>06.12.2014ven, 19h45, sam, 16h45, 5€
Celui qui tombe
Celui qui tombe05.12.2014>06.12.2014ven, 21h, sam, 18h,, 20>9€
Les paroles Impossibles
Arras, Théâtre d'Arras

Site internet : http://www.tandem-arrasdouai.eu

Les paroles Impossibles08.12.2014>09.12.2014lun, 20h, mar, 20h30, 5€

Dans le cadre du Festival Les Multipistes, Plus d’infos sur : www.tandem-arrasdouai.eu

 

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