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Derrière le rideau

© Julien Collinet

Partis avec 60 € en poche, six passionnés de cinéma indépendant ont entrepris la transformation d’une des dernières salles porno bruxelloises en un lieu d’émulation du 7e art. Retour sur 6 mois d’une aventure folle, entre coups d’éclat et grosses galères. L’affaire est-elle classée (X) ?

9 avril 2014. La devanture du cinéma ABC, toujours ornée d’une désuète peinture érotique, voit défiler les journalistes. Lors d’une conférence de presse, les membres de la fondation Cinéact annoncent victorieusement le sauvetage de ce temple du porno. L’une des dernières salles d’Europe à projeter ce type de cinéma en 35 mm ! Six mois plus tard, l’équipe a la tête des lendemains qui déchantent. La justice vient de refuser de reconnaître le bail qui avait été convenu oralement avec le propriétaire. « C’est très dur, reconnaît Alice Riou, tout était si bien parti ». Fermé après une faillite en 2013, l’ABC reposait sur un concept unique. Avant chaque séance une strip-teaseuse offrait un show sexy aux spectateurs. « Ce n’était pas le porno d’aujourd’hui, précise Eric Vauthier. Dans les années 1970, des couples pouvaient s’y rendre sans que ça ne choque personne ». La salle est située boulevard Adolphe Max, en plein cœur de Bruxelles. « La Mecque du cinéma de genre, s’emballe-t-il. C’était grandiose ! On y trouvait un lieu spécialisé dans le western spaghetti à côté d’un autre diffusant des films de kung-fu ». Ce cinéphile a mal vécu les fermetures des cinémas de quartier dans les années 1990, tués par les multiplexes de la périphérie.

Flashback.

En février dernier, Eric et cinq autres passionnés apprennent la mise en location de l’ABC. « On s’est dit qu’il fallait le sauver, se remémore Alice Riou. Ce serait dommage que cela devienne un snack ». Une fondation est alors créée, la presse s’enthousiasme pour ce projet « sulfureux » et des anonymes répondent à l’appel aux dons lancé par Cinéact. En quelques semaines, 60 000 € sont récoltés, garantissant une année de loyers. Un accord est conclu avec le fils du propriétaire, qui représente son père hospitalisé. Tandis que le bail doit être signé sous peu, les clés sont remises à l’équipe qui s’attaque au nettoyage de l’endroit. « On a travaillé avec des masques tellement c’était sale ». Le projet est ambitieux. On prévoit une programmation non plus seulement porno mais plurielle, « avant-gardiste », qui passe notamment par l’organisation de concerts. Les bureaux des étages seront loués à des sociétés de production et des associations de cinéma. « Le but est de créer une bonbonnière cinématographique. La jauge de 150 places est idéale et le lieu a vraiment de la gueule ».
Pas de quartiers !

Mais entre-temps, le propriétaire décède. Les héritiers décident de vendre et posent un cadenas sur les portes de l’ABC. Un compromis de vente est signé avec un promoteur immobilier. « On nous a littéralement foutus dehors, s’énerve Katia Rossini. On a vécu une aventure incroyable et, du jour au lendemain, tout s’écroule. » L’équipe lance alors une pétition pour sauver le statut de la salle. « L’ABC devient un symbole, s’enflamme Katia. Les pouvoirs publics doivent décider s’ils veulent créer une mixité culturelle dans le centre-ville ou la céder aux grandes enseignes et à la spéculation immobilière. » Un film qu’on a déjà vu…

Texte Julien Collinet / Photos Julien Collinet & DR
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