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Le Dobermann a toujours les crocs

Joël Houssin (photo Aurélien Godet)

1981. Le Fleuve Noir cherche de nouvelles plumes, histoire de coller à une époque en pleine crise. Débarque Joël Houssin. Bim ! Le polar français se prend une balle perdue. Fini les flics en imper gris et les héros proprets qui gagnent toujours à la fin. Place au Dobermann. Yann Lepentrec, son gang de barges et le sanguinaire commissaire Cristini imposent le premier pulp français. Sans morale et avec beaucoup de violence. 30 ans plus tard, les éditions Ring rééditent l’intégrale de ses romans. Rencontre avec un écrivain « enragé ».

Comment est né le Dobermann ? J’écrivais des romans de science-fiction à l’époque et on m’a commandé un polar. C’était un « one-shot ». Puis l’éditeur m’a dit : « ton héros n’est pas mort, pourquoi t’en sortirais pas deux autres ? ». Résultat, j’en ai publié 19 en quatre ans…

Comment peut-on le présenter ? C’est un voyou à l’ancienne. Il ne respecte que ses propres codes, mais c’est surtout un type très armé. Du coup, ça tourne toujours au duel avec les flics. Dobermann, c’est un western urbain. Les grands voyous comme lui n’existent plus. Aujourd’hui, ils ont fait l’ENA.

Le Dobermann est né en période de crise. Est-ce la raison pour laquelle il est si actuel ? Oui, c’est un Anonymous avec des armes (rires). Ce n’était d’ailleurs pas facile de le défendre. Son profil laissait une impression étrange. Certains le considéraient comme un héros d’extrême-droite.

Alors qu’il est plutôt du genre « rebelle »… Bien sûr. Mais il n’est vraiment pas politiquement correct. Il n’a pas de règles. Je me sentais très libre quand j’écrivais.

Le Dobermann a fonctionné comme une catharsis pour beaucoup. Il est libre, ne baisse pas la tête… Oui, et il a été vite interdit en « centrale » (ndlr : le livre fut interdit en prison sur décision judiciaire). Les bouquins circulaient sous le manteau. D’anciens détenus s’y projetaient avec plaisir car les voyous gagnaient à la fin. C’est vrai que c’est rare dans les romans (rires).

Le Dobermann c’est un peu votre double, non ? Le type qui se défoule à votre place ? J’ai l’impression qu’il fait des choses que beaucoup de gens rêvent de faire. Mais dans la réalité, un homme comme le Dobermann a deux minutes d’espérance de vie. C’est presqu’un cartoon en fait.

 

 

Une suite du film de Jan Kounen (sorti en 1997, avec Vincent Cassel) est-elle prévue ? Oui, j’ai écrit le scénario. Les Américains ont acheté la franchise. Ils veulent en tourner plusieurs.

Quand cela devrait-il sortir ? Quand le producteur aura de l’argent…

S’agit-il d’une reprise d’un texte que vous avez déjà publié ? Non, c’est un original. J’ai repris des personnages qui existaient déjà, en tout cas ceux qui ne sont pas morts. Quel plaisir de les retrouver ! Ils sont bien là, intacts, et ils en veulent toujours… Je fais revivre Cristini. Tchéky Karyo est très excité à l’idée de le rejouer. Il était incroyable dans le premier.

Loco, roman de SF publié en 2012, marquait la fin d’une absence de plus de 20 ans. Qu’avez-vous fait pendant tout ce temps? J’écrivais pour le cinéma et la télévision. La raison n’est pas glorieuse : un ou deux zéros de plus sur les chèques.

Et en ce moment ? Des scénarios pour la télé. Mais c’est de plus en plus fermé en France. Seuls Canal+ et Arte assurent. Les autres ne font pas leur boulot. Le travail du service public dans le domaine de la fiction est honteux, quant à TF1 n’en parlons pas… Il n’y a plus de liberté pour la création en France. Les scénarios sont complètement formatés. Mais je pense que je vais me remettre à écrire des livres très bientôt…

 

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Bio express

Joël Houssin, 61 ans, a écrit une soixantaine de romans (polars et SF) entre 1975 et 1990. Son dernier livre, Loco, a été publié en 2012 (Ed. Ring). Il est également scénariste pour le cinéma (Ma vie est un enfer, de et avec Josiane Balasko) et la télévision (Navarro, Commissaire Moulin, etc.).

Propos recueillis par Julien Damien

A lire / Dobermann, l’intégrale volumes 2 & 3 (éd. Ring), sortie le 13.11, 1 350 p., 24€ (chacun) Dobermann, l’intégrale volume 1 (éd. Ring), 1 280 p., 24€

A voir / DVD, Dobermann (Edition Ultimate, 2008) de Jan Kounen, avec Vincent Cassel et Monica Bellucci, à partir de 9,33€

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