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Extension du domaine de la thune

Journaliste, écrivain, Bernard Maris (qui signe Oncle Bernard dans Charlie Hebdo) est également économiste et membre du conseil général de la Banque de France.

S’il se vend sans doute moins bien que le « revenge porn » littéraire de Valérie Trierweiler, l’essai de Bernard Maris n’en est pas moins explosif. à travers Houellebecq économiste, l’écrivain et journaliste (Charlie Hebdo, France Inter) dresse un portrait inédit de l’auteur de La Carte et le Territoire. Et règle ses comptes avec le libéralisme et la finance. Rencontre avec un Oncle Bernard qui, à 68 ans, est toujours aussi remonté.

Comment est venue l’idée de cet essai ?
En chroniquant La Carte et le Territoire. J’avais été frappé par les enseignements économiques qu’il contenait.

Lesquels ?  
La notion de « destruction créatrice ». Autrement dit, l’industrie qui disparaît, la consommation à outrance, la tyrannie de l’obsolescence. Il pose des questions essentielles et abandonnées par les économistes. Il interroge la notion de travail, son rôle et sa valeur. Houellebecq livre aussi dans tous ses romans une métaphore de l’évolution du capitalisme, il nous rappelle son principe et son influence sur nos comportements.

Peut-on le considérer comme un économiste ?
Non, mais il utilise (entre autres) le terreau de l’économie pour la littérature, tout comme Balzac s’appuyait sur la psychologie et la sociologie.

De quels économistes pourrait-on le rapprocher ?
Houellebecq a compris ce qui fait la valeur. Il appartient à la philosophie pré-libérale. à cette catégorie de penseurs qui ont gravité autour de l’économie mais qui ne sont pas libéraux. Comme Keynes et Schumpeter.

On a souvent dépeint Houellebecq comme un auteur nihiliste, n’est-il pas plutôt utopiste, humaniste…
J’irai plus loin, il est très fleur bleue ! Son premier roman, Extension du domaine de la lutte, est très noir, dépressif. Et donnait une image qui n’est pas la sienne (cynique, partouzard, méchant). Ses autres romans sont plus positifs. Et très féministes.

Houellebecq, un féministe ?
Ses romans utopistes (La Possibilité d’une île, Les Particules élémentaires) se terminent par la conquête du pouvoir par les femmes. Il manifeste un vrai respect pour elles. Selon lui, la violence est profondément masculine. Les hommes sont en concurrence pour le vagin des jeunes femmes comme ils le sont pour les objets. Ils provoquent une espèce de guerre permanente alors que les femmes sont dans la compassion. Houellebecq est du côté de la bonté, comme les grands romanciers russes (Tolstoï, Dostoïevski).

Et vous, comment vous définiriez-vous ?  
Je suis antilibéral. Attention, je suis pour la liberté ! Mais je pense que le libéralisme économique nous offre une fausse liberté. Celle de vendre et d’acheter, d’offrir sa force de travail. Pour moi c’est une liberté purement matérialiste qui nous oppresse et nous conduit à la servitude volontaire. C’est précisément ce que décrit Houellebecq dans ses romans : nous entretenons une compétition économique généralisée et notre seule liberté consiste finalement à marcher sur les autres pour essayer de vivre.

Etes-vous aussi altermondialiste, décroissant ?
Oui. Je ne nie pas le progrès mais je pense qu’on le confond très souvent avec l’agitation, la destruction créatrice. Je revendique aussi la lenteur car elle est mère de la culture, de l’art. Or, nous vivons dans un monde de rapidité, de bruit, de sauvagerie permanente. Je n’aime pas ce monde-là.

« Notre monde s’enferme dans l’horreur », écrivez-vous. Le capitalisme libéral est comme une dictature, et vous le comparez avec les camps de concentration. N’est-ce pas exagéré ?
Ce que je veux dire c’est : « comment, aujourd’hui, on tient les hommes dans ce monde soi-disant libre ? » Eh bien par l’incertitude et la peur. Et la peur est très mauvaise conseillère : elle donne envie d’avoir un chef, un maître, un guide, comme les enfants qui ont besoin qu’on leur tienne la main.

En sommes-nous arrivés à ce point ?
Oui, les sondages le disent : les Français sont terrorisés par le chômage, l’idée de se retrouver à la rue. C’est un monde où les gens vivent dans une incertitude perpétuelle.

Selon vous comment tout cela peut-il finir ?
Je pense qu’il risque d’y avoir une nouvelle crise financière majeure sur les marchés dérivés. Et si les produits dérivés « pètent », c’est une bombe qui nous tombe dessus. Il y aura une régression énorme comme en 1930, c’est-à-dire une baisse du pouvoir d’achat de 40%. La violence qui est endiguée par le commerce, comme l’eau qui bouillonne dans une marmite fermée, va exploser. Alors, il est probable que des forces délétères se raniment…

Propos recueillis par Julien Damien

A lire / Houellebecq économiste, (Flammarion), 160 p., 14€

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