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Quand la campagne penche à l'extrême-droite

© Tina Merandon

Après une dizaine de livres, dont Retour aux mots sauvages ou Ils désertent, lauréat du Prix Amila-Meckert en 2013, Thierry Beinstingel sort Faux Nègres. Un vrai roman sondant les petites communes rurales, particulièrement celles qui mettent la barre très à droite. Ni moralisateur, ni explicatif, ce texte s’annonce comme l’un des évènements de la rentrée.

Comment est venue l’idée de ce livre ?

Tout est parti d’une anecdote. Dans ma région, il y a un village où on a voté majoritairement pour l’extrême-droite aux élections. à la dernière campagne présidentielle, sa patronne y a d’ailleurs tenu un meeting qui a drainé de nombreux journalistes, pour voir comment vivaient les “Indiens” de ce village.

Et qu’ont-ils trouvé ?

Un petit coin de campagne, qui n’a pas changé depuis le XIXe siècle. Ces villages ont été façonnés à l’époque de Jules Ferry. On y a construit une mairie, une école et une église. On n’habite pas là par choix mais parce que sa famille y vit interview depuis des générations…

Pourquoi ne nommez-vous pas clairement le parti politique qui dévore cet endroit ?

C’est volontaire. De la même manière, je ne cite pas non plus la commune en question. Car cela pourrait être n’importe quel village de France et n’importe quel parti d’extrême-droite. Ce dernier est reconnaissable mais en même temps, utiliser son nom c’est un peu comme citer une marque sur une boîte de camembert ; son nom peut changer, mais pas le contenu. Pour moi, c’est un parti d’extrême-droite, c’est tout.

© Fayard

© Fayard

Est-il vraiment question d’un roman ? Quelle place accordez-vous à la fiction, à l’intrigue, aux personnages ?

J’ai rendu les personnages le plus romanesque possible : un narrateur qui n’a rien d’un journaliste, un preneur de son aveugle. II leur manque toujours quelque chose. Je trouvais intéressant de bâtir un roman un peu dans le style XIXe en prenant au pied de la lettre le sous-titre de Madame Bovary : « mœurs de province ».

Vos personnages sont très silencieux, comme dans une sorte d’errance. Cela confère un côté tragique au livre…

Ce silence signifie que le langage échappe parfois aux classes populaires. Quand on est de condition modeste, a-ton le droit d’exprimer une opinion ? Le maire du village parle par onomatopées parce que ses mots se sont raréfiés. On est dans un empêchement de paroles.Cela dit, mon projet est profondément optimiste. J’essaie de redonner leur noblesse aux mots. Je décris la campagne avec une certaine exigence, un vocabulaire saisissant le monde rural au plus près. C’est aussi pour ça qu’il y a du lyrisme dans ce livre. Tout l’enjeu du roman est là : (re)donner la parole aux classes populaires.

Le discours politique est aussi pas mal dézingué. On se pose la question de la force et du pouvoir des mots…

En tant que citoyen je reconnais le droit de me poser cette question : pourquoi vote-t-on à l’extrême-droite dans un petit village ? Je m’interroge sur ce qu’on fait de la politique, comment elle imprègne nos vies à l’occasion d’une élection. Je fais référence à Jules Ferry mais m’intéresse surtout à notre époque en m’appuyant sur une actualité -relativement- imaginaire. Mon roman pose donc des questions sans y répondre, sinon cela deviendrait un essai. Cela dit, j’ai eu quelques prémonitions assez étonnantes !

François Annycke

A lire :  Faux Nègres (Fayard), 424 p., 20€

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