Home Best of Phia Menard

Matières à réflexion

Née en 1971, Phia Ménard a 19 ans lorsque, découvrant Extraballe de Jérôme Thomas, elle décide d’apprendre la jonglerie. Puis le théâtre, la danse, le mime, on en passe. Cette artiste complète se produit à travers le monde, mais demeure en elle une fêlure : Phia Ménard est née homme et, en 2008, décide de devenir totalement femme. P.P.P. conte ce parcours. Six ans plus tard, la danseuse et jongleuse reprend cette création dans laquelle elle lutte contre des blocs de glace – autant d’épées de Damoclès, explique-t-elle, au moment de revenir sur son parcours et son combat quotidien.

Votre spectacle s’intitule P.P.P. L’acronyme de Position Parallèle au Plancher
Oui, c’est la position dans laquelle nous finirons toutes et tous. Lorsque j’ai écrit cette pièce, en 2007-2008, je faisais mon coming-out. On m’a appris à être un homme, j’ai essayé mais ayant échoué, j’ai décidé de devenir femme. P.P.P., c’est le parcours de quelqu’un qui questionne son identité et se retrouve dans une situation périlleuse, car la société n’accepte toujours pas la transsexualité.

Pourquoi utiliser la glace sur scène ?
Il s’agit de trouver des relations entre la matière et ma perception de l’humain. Ainsi, la glace peut devenir eau, puis vapeur, par exemple. Elle est à l’image de nos propres corps, qui peuvent se transformer. Le mien était masculin avant de devenir féminin. C’est l’élément parfait pour symboliser ce changement de sexe. La glace est belle, mais on n’ose pas la toucher car elle est froide. Idem pour le corps d’un trans, qui fascine, attise la curiosité, mais avec lequel on craint de se retrouver au lit. (Sourire) Cette relation attraction-répulsion est à l’origine de l’histoire de P.P.P..

Quelle place accordez-vous à la scénographie ?
Pour évoquer la solitude, être seul en scène ne suffit pas. Lors d’une fête, si vous ne connaissez personne et qu’on ne vous parle pas, vous vous sentez seul, bien qu’entouré de gens. Je tenais donc à un décor très fourni constitué de nombreux robots qui se meuvent, mais n’ont rien d’humain. D’où le sentiment de solitude.

C’est un spectacle narratif, mais muet.
Oui. Je mêle la chorégraphie, le théâtre de mouvements, le jonglage…  J’ai pratiqué diverses techniques corporelles, et c’est ma manière de m’exprimer. Mais le spectateur doit pouvoir imaginer ce qu’il veut.

Vous avez joué P.P.P. à l’étranger. Quelles sont les réactions ?
Ça dépend. Les Anglo-Saxons ont une relation ambiguë et complexe au corps. En revanche, les pays latins sont plus à l’aise. Au Brésil par exemple, les spectateurs explosaient de rire et prenaient la pièce sous l’angle de la farce. Je n’aurais jamais imaginé ça, mais c’est intéressant. Chaque société envisage le corps et l’identité avec ses propres référents.

Vous avez créé P.P.P. en 2008. À l’époque, vous étiez encore un homme. Six ans plus tard, le jouez-vous différemment ?
Finalement, la pièce est de plus en plus pertinente, car elle ne conte pas uniquement cette transformation. Aujourd’hui, elle reprend les questions d’une femme s’interrogeant sur son identité. J’arrive dans la communauté des femmes, je dois en apprendre les codes, découvrir les inégalités…

Vous-même subissez ces inégalités en tant que femme, mais pas seulement.
J’ai choisi un genre, mais je n’ai toujours pas les papiers officiels, je me bats pour avoir des droits. Quoi que je fasse, je resterai trans. Je suis née dans un corps d’homme, je mourrai dans un corps de femme. Ce chemin est perçu comme odieux par la majorité des gens. Au contraire, c’est le plus beau des parcours. Nous devrions tous pouvoir regarder le monde en adoptant différents points de vue. Cela permettrait de comprendre l’autre et d’être plus tolérant.

Vous sentez-vous proche des théories queer de Beatriz Preciado ou Marie-Hélène Bourcier ?
Je connais le travail de Marie-Hélène Bourcier, et Beatriz est une amie, nous discutons très souvent. Ce que je disais à l’instant s’inscrit complètement dans le mouvement queer : choisir, expérimenter, ne pas se conformer à ce qui nous est imposé comme la norme. Nous ne choisissons pas de naître, mais nous choisissons de vivre. Pour cela, nous devons choisir ce que nous voulons vivre.

Êtes-vous une artiste militante ?
Oui. Monter sur scène est en soi un acte politique. Je garde espoir, mais si l’art pouvait rendre le monde plus tolérant, ça se saurait ! (Sourire) J’ai conscience de m’adresser à des gens qui ont déjà enclenché un processus de réflexion, ont fait l’effort de venir au théâtre… Ce serait bien de toucher d’autres publics.

Propos recueillis par Thibaut Allemand
Informations
Lille, Le Grand Bleu

Site internet : http://www.legrandbleu.com

08.04.2014>12.04.201420h sauf jeu et ven, 15h, 13/11/10/9/6€
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