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Voyage au bout de la crise

« Après Clearstream, je n’écrivais pratiquement plus. Un blocage. Dès que je prenais la plume, je trouvais ça nul », se souvient Denis Robert . L’ancien journaliste de Libé vit de ses films, ouvrages et toiles . Le virus est revenu lors d ‘un « stage permis à points . J’ai rencontré ces gars qui m’ont raconté leurs mésaventures. Rentré chez moi, j’ai gratté sur une feuille. C’est comme si le don de l’écriture était revenu. » Le résultat ? Vue imprenable sur la folie du monde, récit haletant au cœur de sa Moselle natale , dévastée par la crise, à la rencontre de personnages souvent ignorés par les médias.

Vous explorez de nombreux thèmes dans cet ouvrage…
Oui. Ce livre fonctionne sur des inquiétudes. Je réfléchis à l’avenir, à la finance qui est en train de nous tuer, mais aussi à la relation entre un père et son fils. Lorsqu’il avait sept ans, nous avions passé une journée ensemble, visité un zoo, une mine, dormi chez un copain. J’ai noté nos conversations. Je me pose énormément de questions : comment va-t-il se démerder ? Il est plein de rêves et d’insouciance. Je ne veux pas le plomber, mais bon… J’espère qu’il gardera en lui cette candeur.

Comment qualifieriez-vous ce livre entre fiction et journalisme ?
Tout est vrai. C’est un roman ancré dans le réel. Je connais vraiment des mafieux, on a essayé de faire sauter ma bagnole… J’ai effectué toutes ces rencontres, sauf que ce n’était pas concentré sur un voyage de trois jours. Tom Wolfe ou Hunter S. Thompson m’inspirent beaucoup, mais je fais du gonzo journalisme à ma manière.

Pourquoi la Moselle ?
Car je ne l’ai jamais quittée. Elle est particulière, c’est une terre d’immigration. Et je ne connais pas de région où l’on a autant menti et fait de plans sociaux. Il y a toujours des emplois détruits, des révoltes ouvrières. Je me suis intéressé à la vallée de la Fensch, avec la sidérurgie, et au bassin houiller lorrain.

Comment les L orrains vivent-ils cette situation ?
L’insécurité de l’emploi conditionne les esprits. Je me souviens d’un type venu poser du carrelage dans ma cuisine. Il avait tout résumé en une phrase : « Y’a plus rien à espérer de l’avenir ». J’aurais pu la retrouver à pleins d’endroits. Je revois aussi ce couple, qui fait partie des huit mille Lorrains  ayant bénéficié, à la fin des années 1990, d’un incroyable plan social accordant la retraite à 45 ans avec interdiction de travailler. Cela favorisa des déprimes incroyables, des drames de l’alcoolisme. Beaucoup de retraités des houillères, vivant avec de bonnes retraites, paient les façades de leur villa, mettent des nains dans leur jardin. Et à côté de cette ambiance surannée, on trouve des mômes qui sont perdus et se défoncent. Cela crée des frictions et fait monter le FN.

Comment en est-on arrivé là ?
Ce sont avant tout des choix politiques. Je ne crois pas à la thèse de la mondialisation. On a un exemple très récent avec Mittal à Florange. Il était possible de sauver ces emplois. L’argent, je sais où le prendre. Les paradis fiscaux, les chambres de compensation de Clearstream ne sont pas un mythe. Il faut taxer ces gens-là. ça pourrait être un propos de comptoir s’il n’était pas étayé sur une vingtaine d’années. J’ai fréquenté des traders, écrit trois bouquins, on m’a fait soixante procès, j’ai tout gagné. Donc je sais de quoi je parle.

Quel bilan tirez-vous de ce combat ?
C’est paradoxal : je peux les accuser de comptes mafieux sans être taxé de diffamation. Mais Clearstream est toujours là. J’ai gagné mais j’ai perdu. Ma victoire judiciaire a permis une plus grande liberté de la presse. Il fallait absolument que je gagne, j’ai refusé tout compromis. C’était une question de journalisme.

Avons nous atteint un point de non retour ?
Non. Mais si on laisse faire la finance, ce sera encore pire. On est face à une impuissance totale, une situation unique depuis l’après-guerre. Les incertitudes sont nombreuses : la montée de l’extrême droite, les mensonges des politiques, leur absolue corruption. Heureusement, il nous reste le foot.

L’avenir du FC Metz (leader de L igue 2) est-il plus radieux ?
Oui ! L’équipe a retrouvé une âme. Cela prouve que les pétrodollars ne font pas tout. Il y a une véritable communion. J’y vais avec mon fils et les copains, on boit une bière. On retrouve un peu de fierté. Mais comme à chaque fois, nos bons joueurs vont être transférés. Il y a quelques années Sollac était sur le maillot, ils ont failli être champions. L’an dernier je suis allé voir des matchs contre Le Poirée-sur-Vie ou Luzenac. En même temps je trouve un charme à ce genre de soirée dépressive. Je préfère ça au PSG.

Propos recueillis par Julien Collinet

À lire /
Denis Robert, Vue imprenable sur la folie du monde,
(Les Arènes, 281 p., 21€)

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