Le MUba
Arts en mouvement
Tourcoing, sa Grand-Place surplombée par l’église Saint-Christophe et en face, ce centre commercial imposant qui mange la bouche de métro. Bienvenue dans le monde moderne. Pourtant, à un jet de pierre, l’Hôtel de Ville et les jardins attenants sont épargnés par cette course folle. C’est là, face à la mairie, dans une ancienne maison de maître, que le temps semble arrêté. Ne vous y fiez pas : vous êtes au MUBA , un centre névralgique d’art ancien et contemporain.
Pour présenter le MUba, il faudrait sans doute remonter au XIXe siècle et à la création du Musée de Tourcoing en 1930. Puis évoquer les changements de lieux, les fonds enrichis par d’avisés érudits et la rencontre fondatrice, dans les années 1950, entre le peintre, sculpteur et graveur Eugène Leroy (1910-2000) et le jeune conservateur Jacques Bornibus, qui le défendra passionnément. Impossible aujourd’hui d’évoquer le MUba sans mentionner le Fonds Eugène-Leroy, obtenu grâce à une donation, en 2009, et comptant près de 600 œuvres (tableaux, dessins, carnets de dessins, gravures, sculptures et plaques gravées). Audacieux et résolument moderne, le musée associe la conservation-restauration, l’exposition et la recherche au sein d’un même lieu. Ainsi est né, en 2010, le Laboratoire Eugène Leroy, où lesdites œuvres sont présentées au public (et aux chercheurs) dans un espace hybride. Une réserve ouverte, en quelque sorte.
Un œil averti en vaut deux
Tourné vers l’avenir sans faire table rase du passé, l’endroit soutient la jeune création contemporaine issue de la région, et possède une belle devise : « Le regard a la parole ». Dans ces vastes salles aux plafonds hauts, entre les oeuvres réalisées in situ de Pat Steir (la montée d’escalier) ou de Sol Lewitt (le Wall Drawing 659, au premier étage), jamais le visiteur n’est pris par la main : ni parcours fléché, ni cartel bavard (et souvent cache-misère). Puisque l’Art (et sa réception) se jouent d’abord et avant tout dans ce que l’oeil perçoit, seules les indications élémentaires sont données. Nous voici invités à écouter notre sensibilité, nos émotions… et à pousser les recherches plus loin, si le cœur nous en dit – c’est souvent le cas. Enfin, un véritable programme d’activités aborde les oeuvres de manière transversale, par le biais de rencontres avec les arts vivants (musique, danse, poésie, théâtre…). Prochainement, l’ensemble Ictus se produira en ces murs. Le sacre de la rétine, et du tympan.
Œuvres commentées
par Rainer Michael Mason
No objektiv nee nee, (Pas objectif non non), Georg Baselitz, 1997
Les dimensions de la toile répondent d’abord à une nécessité physique : c’est un véritable champ d’action, d’investissement corporel -en témoignent les traces de semelles, à droite. La violence de la couleur, jointe à ce format imposant, nous empêche par ailleurs de voir l’oeuvre de manière synthétique. Pourquoi l’enfant ? C’est sans doute le fils de Baselitz. Pourquoi l’assiette du cavalier, en haut, hors du champ coloré ? Un emprunt à la peinture bohémienne ?… Peu importe : ce qui se joue sur cette toile, c’est une bataille entre le haut et le bas, et l’hésitation de notre regard, qui voit cet enfant comme un monstre, et s’accommode de cette monstruosité en détaillant les différents aspects.
par Évelyne-Dorothée Allemand
Têtes, Eugène Leroy, 1987
Cette oeuvre s’intitule Têtes. Or, j’y vois plutôt des seins, des formes rondes, pleines, qui se développent, se multiplient en haut et bas du tableau par une tête et un ventre. Il m’évoque une gravure du même Leroy, un buste de femme aux seins nus, ainsi qu’une peinture de Jean Fautrier aux formes puissantes. Si le sujet est important chez Leroy, il s’abîme peu à peu, s’enfouit dans la peinture, parfois à la limite de l’abstraction. C’est le cas ici : l’osmose des éléments, la relation peinture-lumière, lumière-couleur, couleur-matière maintient cette peinture en gestation. Alors, sans doute, au-delà de cette vision allusive de têtes qui ressurgissent, en accumulant la peinture, Leroy la débarrasse de l’anecdote pour mieux la révéler dans la peinture seule.