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L'étoile du Nord

«Comédienne ? Oui, c’est marqué sur ma fiche de paie , mais ça s’arrête là ». Lorsque Corinne Masiero lâche cette sentence définitive au milieu de l’entretien, on se demande un peu comment on va la présenter. Elle joue la comédie sur les planches, les petits et grands écrans depuis vingt ans, mais ne serait pas actrice ? Ça commence bien. Et ça continue de plus belle, entre enthousiasmes et colères, singulière bonhomie et engagements au long cours. Rencontre avec une bonne définition de l’honnêteté.

 

L’ayant découverte dans Les Vivants Et Les Morts, aperçue dans Engrenages et admirée dans Louise Wimmer, on souhaitait rencontrer Corinne Masiero depuis un bail. Mais question décor, on n’imaginait pas la bibliothèque d’un hôtel lillois très huppé – les affres de la promo… Or, voir débouler ce mètre quatre-vingt chaussé de baskets rose fluo met tout de suite à l’aise. Entre deux éclats de rires, la gouailleuse Corinne Masiero plante son regard dans le vôtre et oblige à la franchise. On a tenu bon : Les Reines du Ring n’est vraiment pas un grand film mais, armé de notre lâcheté légendaire,on n’a rien dit. « C’est une comédie avec un fond social sur la solidarité entre gonzesses. De plus, le catch fait partie de la culture dans le Nord, comme la ducasse ou les majorettes » déclare-telle tranquillement, avec de (très) fortes pointes d’accents ch’ti. « Arrivée au collège, on m’a interdit de parler en patois ou avec l’accent, c’était “sale”. Je l’ai vécu comme une injustice incroyable. Il ne faut pas oublier d’où l’on vient ». Entendu, mais quid du risque de se laisser enfermer dans ce type de rôle ? La Nordiste s’en amuse : « Lorsque j’ai débuté, j’ai entendu que j’étais trop grande, trop vieille, trop moche… Et depuis Louise Wimmer (ndlr. 2012) on m’a qualifiée de comédienne intello ! Certains journalistes me demandent si Les Reines est une nouvelle façon d’aborder le métier. Ben oui ma poule !, se marre-t-elle. Ça fait vingt ans que je fais du trash et du théâtre de rue ».
L’ennui
C’est sur les planches que tout à commencé pour cette native de Douai, grandie entre Cantin et Goeulzin. Milieu prolo et communiste, on travaille la semaine,et « on allait parfois au ciné le weekend. Il y avait des livres et des bédés à la maison, mais on n’allait pas au théâtre, par exemple ». Son premier lever de rideau en tant que spectatrice, c’était « pour un Molière, au collège. C’était ennuyeux et pour moi, c’était ça, la culture : un truc chiant ». À l’aube de la trentaine, technicienne à l’Hippodrome de Douai, elle découvre le théâtre. « On nous permettait d’assister à tous les spectacles. J’allais voir au hasard et j’ai pris quelques claques ». De ces vadrouilles culturelles, cette amatrice de westerns spaghetti, qui vénère Buffet Froid (1979) et Le Goût Des Autres (2000), a conservé l’amour de la spontanéité et du lâcher-prise. Ainsi ne lit-elle jamais les scénarios, «seulement deux ou trois séquences. Je préfère discuter avec le réalisateur. Comme on va passer plusieurs mois ensemble, mieux vaut que le courant passe. De plus, ne pas connaître toute l’histoire permet de proposer des trucs spontanés, qui apportent parfois un plus ». Depuis vingt ans, ça lui a réussi. « Tant que je peux me regarder en face dans le miroir, tout va bien. Je ne regarde pas le chèque, il faut que le projet me parle, tout simplement. Enfin, je dis ça, mais je retournerai peut-être ma veste dans quelques années ! » glisse l’encartée au PCF, dans un rire.
Et demain ?
« Je n’ai pas de plan de carrière, si ça continue, tant mieux, mais peut-être qu’un jour, je voudrais faire autre chose… » Quoi, par exemple ? « Ah ça ! c’est la grande question. Je ne sais faire que ça. » Ce qui n’est déjà pas mal. « Tu parles ! N’importe qui peut être comédien ». Masiero démago ? « J’ai travaillé avec Guy Alloucherie, un putain de metteur en scène. Pas dogmatique, il anime des ateliers avec des enfants, des adultes, et obtient des résultats toujours géniaux, s’enthousiasme-telle. Et c’est du théâtre ! Au cinéma, c’est encore plus facile, tu peux rejouer trente fois jusqu’à ce que ce soit bon » Modeste, Corinne. Car les cinéastes qui l’ont côtoyée vantent tous son perfectionnisme. Mais de ça, pas un mot. « Comédien ? Un boulot de feignasse, lâche-t-elle en plaisantant à moitié. Ça me convient tout à fait, puisque je ne suis pas une grande bosseuse ». On dit que sans travail, le talent n’est qu’une mauvaise manie. On ne pensait pas l’écrire, mais Corinne Masiero est sacrément maniaque.

Thibaut Allemand
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