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Le chant des ruines

« Je m’intéresse aux endroits dont on ne vient plus perturber la lente existence, explique Vincent Stoker. Je me penche sur des espaces dépossédés de leurs sens et de leurs fonctions, hors du temps ». Pour sa série Heterotopia, la chute tragique, l’artiste pénètre dans ces autres (hetero) lieux (topos), abandonnés, voire oubliés, pour les surprendre au bord de l’effacement.

 

Si l’on est stupéfié en découvrant le travail de Vincent J. Stoker, on devine que le photographe fut lui aussi tétanisé en approchant ces vestiges. Mais là où le commun des mortels aurait photographié ces lieux dans les moindres recoins, des grandes façades abîmées jusqu’au moindre boulon rouillé, le Français saisit leur immensité en une seule image : « Je place l’appareil au centre de l’architecture pour ne privilégier ni le plafond, ni le sol, mais considérer toutes les parties équitablement ». Jouant avec les symétries, les perspectives, les points et lignes de fuites, ces grands formats n’en disent pas plus sur leur origines. C’est au spectateur de spéculer, d’imaginer quelle fut la vie de ces ruines magnifiques – ou, tout au moins, magnifiées. Néanmoins, Vincent nous confie parcourir les usines abandonnées de la Ruhr, d’anciens asiles psychiatriques britanniques ou encore le port de Gdansk.

Si le sous-titre de cette série, La chute tragique, peut sembler fort, il traduit l’impression ressentie devant ces ruines d’une ère pas si lointaine – la nôtre. Érigés pour la plupart durant un xxe siècle marqué par les grandes utopies collectives, ces bâtiments à l’agonie posent question sur la pérennité de notre civilisation. « On peut considérer ces bâtiments comme des formes amoindries et diminuées ou alors au contraire, comme des lieux où la vie ne s’éteint pas, modère l’artiste. Ces vestiges témoignent d’une résistance et semblent lancer un défi au temps et à la furie des hommes ». En effet, ces images soulignent les fantasmes d’architectes désireux, comme Icare et la tour de Babel avant eux, de construire toujours plus grand, toujours plus haut… rêvant, en vain, d’éternité – car la Nature aura toujours le dernier mot. À quand les images des ruines de Dubaï ?

Thibaut Allemand
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