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La marche de l'histoire

Docteur en histoire, Jean-François Belhoste fut en charge de l’Inventaire général du patrimoine industriel et technique au Ministère de la Culture et co-signe un ouvrage passionnant, dans lequel il se penche sur notre patrimoine industriel. Historique, arc hitectural, esthétique, ce vaste héritage de près de cinq siècles, longtemps négligé, est aujourd’hui redécouvert, défendu, réhabilité voire… totalement transformé

 

Vous évoquez l’invention d’un patrimoine, pourquoi employer un terme aussi fort ?
On s’est battu avec Paul Smith (co-rédacteur) auprès de l’éditeur pour maintenir ce terme. La réhabilitation de ces vestiges passe par un processus qui relève de l’invention. Car leur avenir, au moment où on les abandonne, c’est plutôt la destruction. C’est la logique de la table rase.

Sur les 30 sites sélectionnés, doit-on s’attendre à une sur-représentation du Nord et Nord-Est ? Il est vrai que depuis la deuxième moitié du xixe siècle, l’industrie lourde est concentrée dans le Nord- Pas de Calais et en Lorraine, du fait du charbon, entre autres. Mais l’industrie en France s’est implantée sur l’ensemble du territoire. Et aujourd’hui encore, l’Aéronautique est présente dans le Sud-Ouest et l’industrie pétrolière, le long de la Seine, entre Paris et Le Havre.

Quelles sont les principales évolutions qui jalonnent l’architecture industrielle ?
Elle a souvent été innovatrice. Notamment dans l’utilisation du métal, du béton armé ou encore de la brique décorative. Cette dernière a progressivement rendu ces bâtiments moins austères en Picardie, en haute Normandie et dans le Nord.

Pourquoi certains bâtiments témoignent d’une recherche esthétique ?
Certains manufacturiers voulaient montrer ostensiblement leur puissance et leur réussite. Les industries soucieuses d’une certaine image de marque, tels le luxe ou l’agroalimentaire, sont davantage sensibles au geste architectural que l’industrie sidérurgique ou minière.

Vraiment ?
Vous avez raison, dans le monde de la mine, le chevalement fait montre d’une véritable recherche et cultive une vraie singularité. De plus, certains bâtiments ont été construits sans souci esthétique mais sont, in fine, considérés comme beaux. La beauté est très variable selon les époques. Le parti-pris rationaliste, efficace et épuré de ces constructions plaît davantage aujourd’hui.

La comparaison avec les cathédrales ou les châteaux est-elle fondée ?
Pour certaines grandes usines textiles de la moitié du xixe, les références aux styles gothique ou néo-gothique sont évidentes. On évoque alors des cathédrales ou des châteaux de l’industrie. On note aussi une inspiration seigneuriale. La Motte-Bossut à Roubaix ressemble ainsi à une espèce de château fort. Je déplore d’ailleurs le parti pris de sa restauration, qui a accentué cette référence en ajoutant un pont-levis…

Quelle est l’attitude du secteur industriel contemporain vis-à-vis de ces sites ?
Les mentalités évoluent progressivement. Il n’est désormais pas plus rentable de faire du neuf que de réhabiliter du vieux… Mais si cela gêne un projet d’extension, on n’hésitera pas à raser. Sauf les bâtiments protégés au titre des Monuments Historiques, qu’on ne peut pas sacrifier sans accord du Ministère de la Culture. Les industriels le vivent parfois comme une contrainte insupportable, mais préserver un lieu améliore aussi leur image de marque.

Quels type de bâtiments ou d’industries privilégions-nous ?
Dans les 830 lieux répertoriés en France, on compte de nombreux moulins. C’est le côté pittoresque. Les usines textiles sont souvent réutilisées pour leur robustesse. Quant aux hautfourneaux, à part les contempler ou se promener autour, il n’y a pas grandchose à en faire. On voit aussi fleurir de nombreuses friches culturelles.

Qu’en pensez-vous ?
En effet, c’est l’une des solutions les plus répandues. Mais il faut sortir de cette exclusive. Ces grands espaces peuvent accueillir des choses très variées.

Alors, pourquoi pas des logements ?
Et plus compliqué, mais tout aussi indispensable, une activité productive, du commerce, de petites industries modernes. À Roubaix par exemple, on trouve la Condition Publique, mais aussi un célèbre Espace commercial baptisé l’Usine, sans parler des lieux tournés vers les nouveaux médias. Il y a d’infinies possibilités, à condition d’être imaginatif.

Leur réaffectation en espace festifs ou ludiques servirait-elle à conjurer ce sort ?
Dans le Nord de la France, par exemple, les habitants ont longtemps cherché à rayer l’image noire qui collait à la région. C’est compréhensible, mais cela a failli se faire au détriment de l’histoire de la mine. Et contrairement à l’Angleterre, où tous les terrils ont été rasés, on les a conservés. C’est d’ailleurs par ces résidus, par les terrils que cette histoire a fait son entrée au Patrimoine, avant les chevalements, les clochers, puis les carreaux, préservés à Lewarde, Oignies et Wallers. Pour aboutir à une inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco !

Propos recueillis par Nicolas Pattou / Photos : Pierre- Olivier Deschamps

À lire / Architectures et paysages industriels – L’invention d’un patrimoine de Jean-François Belhoste et Paul Smith, photos : Pierre- Olivier Deschamps / VU’, éd. La Martinière, 272 p., 65€

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