Olivia Rosenthal
Se souvenir des belles choses
Dans le précédent ouvrage d’Olivia Rosenthal (Que font les rennes après Noël ?, 2010), un personnage découvrait le monde à travers des films, entre autres. Afin d’approfondir cette relation entre littérature et cinéma, l’auteure a passé une année en résidence à l’Espace 1789 de Saint-Ouen. Fondé sur la rencontre avec les habitants, son travail s’articule sur une question : « Quel film a changé votre vie ? ». Seize personnes se sont ainsi prêtées au jeu, décrivant leur relation à une oeuvre. Olivia Rosenthal s’est fait le porte-voix de ces relations d’exception, écrivant un court texte à partir de chaque témoignage, tous réunis au sein de Ils ne sont pour rien dans mes larmes.
Un film peut-il littéralement changer une vie ?
Oui, dans la mesure où nous captons quelque chose en lui qui nous transforme. C’est une relation active. Notre réinterprétation révèle quelque chose qui était jusque là cachée en nous. Au regard de leurs anecdotes les participants avaient tous pris du recul vis-à-vis de l’œuvre en question et de son impact sur leur vie. Sans cette distance, il est difficile de parler du bouleversement vécu.
Voir un film, ça s’apprend, l’œil s’éduque ?
On peut analyser, critiquer selon des grilles, mais je n’ai pas écrit un livre donnant la parole aux cinéphiles. On peut être affecté par un film sans être un expert du cinéma, qui reste un art populaire, comparé à la littérature ou au théâtre. Le cas ne s’est pas présenté, mais j’aurais pu écrire sur un long-métrage de « seconde zone ». Ce ne sont pas forcément les images les plus fortes qui nous changent. L’homme qui parle d’Il était une fois la Révolution évoque aussi Massacre à la tronçonneuse ; il aurait pu développer sur ce film, mais il a privilégié Sergio Leone… En revanche, la dame qui parle de Rouge, de Kieslowski, m’a dit avoir été déçue en le revoyant plus tard…
Le livre se clôt sur un texte personnel évoquant Les Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy. Comment s’est-il imposé comme un « film de votre vie » ?
Je ne m’en suis pas rendue compte la première fois que je l’ai vu. Puis mes « larmes répétées » m’ont fait comprendre que Les Parapluies… me mettaient dans un état particulier au-delà de ce que je voyais à l’écran. Pour autant, je n’ai pas dressé mon palmarès de cinéma. J’aime beaucoup Demy et certains Hitchcock, mais je connais mieux Cassavetes, Pasolini, Bergman…
Appréciez-vous tous les longs-métrages sur lesquels vous avez écrit ?
Si mon interlocuteur est enthousiaste, le film n’a plus d’importance. En revanche, il est moins évident d’écrire à partir d’un témoignage où l’on se sent moins concerné, ou en cas de profond désaccord. Dans ce cas, difficile de ne pas adopter un regard critique.
Avez-vous écrit des scénarios ou envie de réaliser ?
J’ai écrit le scénario des Larmes à partir de mon texte sur les Parapluies de Cherbourg, que Laurent Larivière a réalisé. En revanche, je n’ai pas du tout envie de réaliser ! C’est un travail qui demande d’autres qualités, un travail de groupe.
Récemment, y a-t-il des films qui ont changé votre vie ?
Il faut du temps pour que la transformation opère… Les témoignages recueillis révèlent que les œuvres choisies ont été vues à l’adolescence, une période charnière où l’on reste ouvert à tous les possibles. Ces propos d’adultes montrent qu’il faut peut-être une dizaine d’années pour s’apercevoir du changement provoqué et pour que la relation avec un film s’ancre dans la durée. Il serait intéressant de renouveler ce travail dans dix ans, afin d’observer évolutions du panel.
Plus simplement, quel film vous a plu récemment ?
Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan. C’est un réalisateur inventif et surprenant. Comme en littérature, j’aime l’effet de surprise. Je pourrais également citer l’œuvre d’Abdellatif Kechiche, pour son rapport au temps, en particulier dans L’Esquive. Il y a un effet hypnotique dans son cinéma.