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Sous toutes les coutures

© Jean-Paul Lespagnard

S’il refuse l’étiquette d’iconoclaste, le jeune couturier Jean-Paul Lespagnard possède toutefois ce sens de la dérision éminemment belge. Instinctif, ce touche-à-tout évite de se poser trop de questions, même à un tournant de sa carrière. Après la fameuse collection « frites » qui lui a permis de gagner le prix du festival de Hyères (en 2008), il prépare sereinement sa première participation à la fashion week de Paris.

« Jean-Paul vient juste de sortir, on ne sait pas où il est ! ». L’assistant revient cinq minutes plus tard les bras chargés de vêtements, mais la question reste : « Où est Jean- Paul ? ». Le rendez-vous se déroule dans le foyer d’un théâtre, et bien qu’on n’imagine pas de lieu moins propice, c’est là que le créateur belge a élu domicile. La porte vitrée protège à peine l’atelier des allers et venues… Jean-Paul Lespagnard a besoin de ce mouvement permanent même s’il doit rester concentré : c’est bientôt la Fashion Week. Certes, il ne peut être qu’à un seul endroit à la fois, mais, ça ne l’empêche pas de réfléchir aux costumes de scène de Meg Stuart avec laquelle il collabore depuis plus de quatre ans. La rencontre a eu lieu à la fin d’un spectacle. Meg se souvient encore des sabots qu’il portait. Avec elle, il a découvert qu’il pouvait aller partout. « Ce que je fais en mode nourrit le projet de Meg, mais l’inverse est encore plus vrai ».

Exercices de style
S’il se réjouit d’avoir croisé Cathypill* et apprécie le travail de Sandrina Fasoli, il avance en solitaire, ne recherche pas les collaborations avec ses pairs. Rien ne l’ennuie plus que « la mode qui s’inspire de la mode ». On ne le retrouve donc jamais où l’on pense. Souvent, placé dans le sillage de Walter van Beirendonck** ou de Bernhard Willhelm, il ne se reconnaît pas dans la figure de l’iconoclaste de service. « Je n’ai pas envie d’être le jeune créateur qui arrive, qui fout une bombe et qui s’en va. (…) Je ne sais pas si tu es déjà allé à Salzburg… Imagine des vêtements très classiques pour des dames qui vont à l’opéra. (…) Ça me plaît d’être à la fois très respectueux des traditions, et de pouvoir les tourner en dérision ».

Frites et cowboys
Il avouera aussitôt que sa notion de la tradition est un fantasme, constitué de toutes pièces, une idée tirée de l’enfance. « Quand j’ai dit que je voulais faire de la couture, mes tantes m’ont présenté les robes qu’elles gardaient précieusement, Balenciaga etc. Elles m’ont appris l’amour des vieux vêtements bien faits, avec des biais. Quand tu regardes mes vêtements, tu vois que je suis obsédé par les biais. J’essaie de limiter les doublures et de préserver les traces de construction des vêtements ». En se penchant sur son berceau pour lui transmettre le don de la couture, ses tantes (qu’on imagine un peu fées) lui ont aussi inoculé le goût du conte. Aussi, Jean-Paul Lespagnard s’invente des histoires, pour lesquelles il crée des costumes. « Avec des références surtout claires pour moi… à Hyères, tout le monde me parlait d’une collection « frites ». Mais, il s’agissait
plutôt de l’envie de se barrer pour vivre son rêve. C’était l’histoire d’une fille qui travaillait dans un fritkot* et qui rêvait de partir au Texas pour rencontrer un cowboy qui devenait clown de rodéo ». Comme il se les raconte à lui-même, ses histoires renferment chacune une part autobiographique. C’est un secret, mais sa prochaine collection racontera justement un nouveau chapitre de la vie de ce jeune créateur très prometteur. Pour se la laisser conter rendez-vous à la Fashion Week.

* Cathy Pill, créatrice de mode belge réputée pour son habile utilisation des tissus imprimés et des formes géométriques.
** Walter Van Beirendonck, membre de la bande des six (Ann Demeuleumeester, Dries Van Noten…), connu pour ses collections futuristes, inspirées de la S.F, du monde des clowns, et son travail sur les matières plastiques.
*** Baraque à frites.

 

Texte : Florent Delval, photo : Jean-Paul Lespagnard, DR

A voir / Fashion Week, du 1er au 09.03, Paris
A visiter /www.jeanpaullespagnard.com, www.myspace.com/jeanpaullespagnard

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