Alberto Giacometti
L’humanité sur un fil
Trois ans après Amedeo Modigliani : L’œil intérieur, le LaM de Villeneuve d’Ascq vibre à nouveau au diapason d’un immense artiste du siècle passé : Alberto Giacometti. Cette première grande rétrospective consacrée au Suisse dans le nord de la France raconte en 150 œuvres un parcours hors-norme. De ses premiers pas cubistes, puis surréalistes, à l’influence de l’Egypte antique, en passant par ses peintures ou liens avec la poésie, cette exposition est jalonnée de pièces iconiques et de résonances contemporaines.
« Quand on voit un Giacometti, on s’en souvient », lance le directeur du LaM, Sébastien Delot. Ses fameuses statues longilignes, symboles d’une humanité à la fois debout, en mouvement et fragile (tel L’Homme qui marche) ont en effet marqué l’imaginaire collectif. Pour autant, ces pièces « correspondent à une période finalement tardive, et son œuvre affiche une immense diversité », précise Christian Alandete, le directeur artistique de l’Institut Giacometti. Car, comme tous les grands artistes, le Suisse s’est beaucoup cherché avant d’imposer son style…
A l’avant-garde
Fils d’un peintre reconnu (post-impressionniste), Alberto Giacometti « débute avec certains atouts donc, mais aussi un Œdipe à régler… Il s’est ainsi orienté vers la sculpture, ne revenant à la peinture qu’à la mort de son père », explique Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de l’art moderne au LaM. Malgré tout, c’est en suivant les recommandations paternelles qu’il s’installe à Paris en 1922, à l’Académie de la Grande Chaumière, fréquentant l’atelier d’Antoine Bourdelle. Il se frotte alors à l’avant-garde de son temps. Comme en témoignent les trois salles inaugurales de ce parcours chrono-thématiques, ses premières créations sont cubistes puis surréalistes.
Sa Boule suspendue, « premier objet à fonctionnement symbolique », représente une sphère flirtant avec une banane au sein d’une cage. Cette métaphore de l’acte sexuel bouleverse André Breton et Salvador Dali, tout comme ses “objets désagréables”, associations entre érotisme et violence. Selon Christian Alandete, « Giacometti est à ce moment-là un artiste très collectionné », mais ne quittera jamais son minuscule atelier de 24 m2, dans le 14e arrondissement de Paris.
Crises et déclics
Contre toute attente, il met lui-même fin à ce succès avec La Femme égorgée, créature hybride entre l’humain, l’animal et le végétal. Eternel insatisfait, Giacometti « fonctionne par crises » et, durant les dix années suivantes, il quitte brutalement la scène artistique pour revenir au modèle, portraiturant son frère Diego, son neveu Silvio ou sa femme Annette. Problème : « ses têtes deviennent de plus en plus petites. C’est un processus qui le dépasse, et ça le trouble, selon Jeanne-Bathilde Lacourt. Il réalisera que c’est une manière de représenter, non pas le modèle, mais la perception qu’il en a ». De la même façon, il réalise aussi des sculptures de têtes… plates, « partant du principe qu’on ne peut voir le profil et la face d’un visage en même temps. C’est un anti-cubiste ! ».
Traces de vie
Son œuvre s’émancipe certes de tout académisme, mais reste traversée par une influence aussi majeure qu’inattendue : l’antiquité égyptienne. « C’est un art qu’il découvre très jeune, dans la bibliothèque de son père », rapporte Jeanne-Bathilde Lacourt. On retrouve par exemple cette inspiration dans sa Tête d’Isabel (une amie) où la coiffe monumentale rappelle celle des pharaons et le port altier celui de Néfertiti. Et plus sûrement encore dans la posture de ses pièces les plus célèbres, telle Femme debout, « très hiératique avec les bras le long du corps et les jambes soudées, ancrées dans le sol, le pied gauche légèrement avancé ». Ce choix esthétique ne doit rien au hasard : « La représentation antique égyptienne consiste à préserver une image du défunt. Il s’agit d’un art funéraire. Cet aspect est prégnant chez Giacometti, car il souhaite aussi conserver une trace de l’individu et, plus largement, de la figure humaine ». Comme une certaine… Annette Messager.
Les survivants
Intitulée Sans légende et montrée en contrepoint de cette exposition (parmi six autres), l’installation de la plasticienne française se présente sous la forme d’objets du quotidien (lunettes, chaussures…) éparpillés sur le sol. Recouverts d’aluminium noir, ils esquissent les restes d’une humanité calcinée, dévastée par une catastrophe – l’œuvre fut conçue après le désastre nucléaire de Fukushima. Plongée dans la pénombre et éclairée par des projecteurs animés, la pièce dévoile sur le mur en arrière-plan un théâtre d’ombre intriguant, d’où surgissent des sculptures de Giacometti. Ce sont les images des survivants, l’ultime représentation de l’Homme par-delà le temps…
A LIRE : L’INTERVIEW DE JEANNE-BATHILDE LACOURT
Site internet : http://www.musee-lam.fr/
Collections permanentes accessibles du mardi au dimanche de 10 h à 18 h.
Exposition temporaire et collections permanentes : 10 / 7 €
Collections permanentes : 7 / 5 €