Home Exposition Photographier l’Algérie

Regards croisés

Alger, anonyme © Photothèque de l’IMA, Paris

A Tourcoing, l‘Institut du Monde Arabe embrasse une histoire de l’Algérie par le prisme de la photographie. Cette exposition réunit une centaine d’images prises depuis le début du XXe siècle, jusqu’à 2002. On y découvre les toutes premières représentations orientalistes, la foule en liesse durant l’indépendance, mais aussi les clichés à hauteur d’homme de Pierre Bourdieu ou ceux saisis durant la guerre… Une affaire de visions ET d’optiques.

Pour Françoise Cohen, monter une exposition de photographie sur l’Algérie était « une évidence ». Parce que la relation entre ce pays de plus de 42 millions d’âmes et la France est viscérale. Ensuite, parce que « la photo est pratiquement née en même temps que cette conquête coloniale, explique la directrice de l’IMA de Tourcoing. L’une et l’autre se développent ensemble ». Les premiers Européens débarquent en effet sur ce territoire vaste comme cinq fois l’Hexagone en 1830, armés des daguerréotypes tout juste mis au point par Louis Daguerre. « La vision initiale est donc celle de touristes fortunés en quête d’exotisme », selon l’historienne Marie Chominot. Au début de ce parcours chronologique, on découvre ainsi des “indigènes” dans leur appartements, en tenues folkloriques, dans la droite ligne de la peinture orientaliste.

1. © Neurdein Frères, Photothèque de l’IMA, Paris

1. © Neurdein Frères, Photothèque de l’IMA, Paris

Voile de confusion

Cette exposition ne retrace toutefois pas l’histoire exhaustive de l’Algérie. Elle offre plutôt une multiplicité de points de vue, et une réflexion sur la nature même de l’image. « Elle part d’un constat simple : la photographie ne dit pas la même chose selon son auteur et sa destination », insiste Françoise Cohen. A l’instar du travail minutieux de Thérèse Rivière. Partie dans les Aurès en 1935, l’ethnologue française s’immergea dans le quotidien de la population locale, les Berbères chaouis. Ses clichés pris au Leica, sur le vif, traduisent toute son empathie. Surtout, ces sourires de femmes s’échinant dans les champs contrastent terriblement avec les regards foudroyants des Algériennes dévoilées, capturés par Marc Garanger. Dès mars 1960, ce soldat réalisa à la demande des autorités françaises des portraits forcés de 2 000 autochtones. Il s’agissait de leur attribuer des cartes d’identité, afin de contrôler les rebelles.

Marc Garanger, Femme algérienne, 1960 © Marc Garanger, musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône

Femme algérienne, 1960 © Marc Garanger

© Fonds Mohamed Kouaci

© Fonds Mohamed Kouaci

Guerre d’images

En pleine guerre d’Algérie, le déséquilibre entre images de colons et colonisés s’accentue. « Toutefois le camp des indépendantistes s’empare de la photographie comme d’une arme de propagande, resitue Marie Chominot. Dans ses représentations, l’armée française ne faisait pas la guerre mais la paix. Depuis le maquis, les Algériens montraient quant à eux les combats, les villages incendiés, les victimes… ». Responsable de l’organe de presse du FLN, Mohamed Kouaci fut lui bloqué aux frontières de son pays. Ce pionnier de la photographie algérienne révéla de nombreux camps de réfugiés. Dans ce contexte, il immortalisa ce visage très dur d’enfant. Il répond à ce portrait de jeune femme hurlant à la fenêtre d’une voiture, drapeau en main, saisie le jour de l’indépendance par Marc Riboud.

Didactique, cet accrochage révèle aussi des partis pris artistiques fascinants. Tel celui de Bruno Boudjelal, lancé sur les traces de ses origines paternelles, en 1993, durant les années noires. Le Franco-Algérien ne connaît encore rien à son art, mais ses productions floues et décadrées (car contraintes par la discrétion) esquissent un récit à la fois documentaire et personnel. Il touche à l’intime pour mieux atteindre l’universel. Une question de regards…

Marc Riboud, Alger, 2 juillet 1962 © Marc Riboud

Marc Riboud, Alger, 2 juillet 1962 © Marc Riboud

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Julien Damien
Informations
Tourcoing, Institut du Monde Arabe

Site internet : http://www.imarabe.org/antenne-npdc

Ouvert du mardi au dimanche
de 10 heures à 18 heures

28.02.2019>13.07.2019mar : 13 h > 18 h, mer > dim : 10 h > 18 h, 5 > 2 € / gratuit (-6 ans)
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