Home Best of Interview Jean-Paul Lespagnard

Free-style

C’est l’un des stylistes les plus fascinants de sa génération. Touche-à-tout, audacieux et marqué d’un sens de la dérision éminemment belge, Jean-Paul Lespagnard partage son processus créatif, à l’occasion des 40 ans du Musée mode et dentelle de Bruxelles ! Déployée sur trois étages, cette exposition (dont il est le commissaire) révèle ses sources d’inspiration (des œuvres de Wim Delvoye ou Jan Fabre), ses pièces phares, des silhouettes aux foulards, et nous invite enfin à imaginer les nôtres dans son laboratoire ! Rencontre.

Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir créateur de mode ? Je veux l’être depuis que je suis tout petit. Je l’affirmais déjà à l’âge de 5 ans. J’ai donc construit mon parcours par rapport à ce rêve. J’ai d’abord suivi des études en sciences économiques et sociales, puis je me suis tourné vers les arts plastiques avant d’intégrer Château Massart et sa formation de stylisme. J’ai ensuite travaillé directement auprès de créateurs.

Musee mode & dentelleQuelles sont les étapes marquantes de votre carrière ? Le festival de mode et de photographie de Hyères dont j’ai été lauréat en 2008, juste après avoir lancé ma marque, a été un vrai déclencheur. Cela m’a amené à collaborer pendant trois ans avec des gens dans le monde entier. Ensuite, il y a eu la fashion week de Paris, en 2011. J’y participe tous les ans depuis, malgré une pause cette année…

Pourquoi ? Parce que le système de distribution de la mode ne me convient plus. Actuellement, nos collections sont vendues six mois après les défilés. Cela ne me dérange pas d’être copié, mais ce serait bien si nous pouvions être les premiers à vendre nos vêtements, non ? Je vais sans doute me diriger vers le système “see now buy now”*, comme l’ont déjà mis en place plusieurs grandes marques.

Comment est née cette exposition au Musée mode et dentelle de Bruxelles ? Je connaissais le musée depuis longtemps, et continuais à y venir souvent en tant que visiteur. J’aime le fait que les pièces exposées aient été portées par de vrais gens. J’ai proposé à Caroline Esgain, la conservatrice, de monter une exposition en respectant le même principe. Au départ, je voulais m’intéresser au thème de la création, dans la mode ou ailleurs. Et puis je me suis rendu compte que je n’étais pas théoricien. Nous avons donc convenu que la meilleure façon de révéler mon processus créatif était de montrer mes vêtements et mes inspirations.

Comment a été conçu le parcours ? Le premier niveau, réservé à mes sources d’inspiration, est un peu comme un cabinet de curiosités. Le but étant que les visiteurs reconnaissent ensuite à l’étage au-dessus les liens avec mes créations. Il y a des objets du quotidien, de mon enfance, comme une médaille de Prince Carnaval ayant appartenu à mon oncle, et qui était cachée dans une console. On y trouve aussi une taie d’oreiller que j’avais vue un jour chez un ami et dont j’ai reproduit le motif sur un col de robe. Et puis il y a des œuvres d’artistes que j’admire : Jan Fabre ou Wim Delvoye. A cet étage, nous avons choisi de laisser le public s’imprégner de cet univers sans lui donner d’emblée toutes les clefs.

©MMED_MIKO MIKOSTUDIO-6Qu’en est-il du deuxième niveau ? C’est plus structuré. Pour la scénographie, nous avons mis l’accent sur les détails des vêtements que l’on peut reconnaître à partir du premier niveau. Presque chaque pièce correspond à un ou deux prêts. Il y a des silhouettes, des accessoires, des foulards… Nous avons mélangé toutes les collections, il n’y a pas d’ordre chronologique. J’ai aussi sélectionné plusieurs pièces en dentelle, une matière que j’aime utiliser, mais aussi les tissus faisant appel à des techniques traditionnelles, comme le jacquard. Le 3e niveau, enfin, s’apparente à un laboratoire ou un atelier, où les visiteurs peuvent s’exprimer en créant un motif. Il y a une notion importante d’échange : après avoir donné les clefs de mes inspirations, je propose une mise en application.

Pourquoi l’exposition est-elle baptisée “Reflection” ? Dans la scénographie, nous avons mis en place beaucoup de jeux de miroirs, et nous tirons aussi parti du reflet dans les vitrines, alors que l’on cherche habituellement à l’éviter dans les musées.

Vous servez parfois vous-même de guide. Quelles sont les réactions ? J’ai eu l’occasion de faire visiter Reflection à des gens très différents, et j’aime le fait que l’exposition puisse plaire à des enfants, des étudiants en mode qui, évidemment, ont un regard un peu particulier sur les choses, mais aussi à des dames âgées. Une chose importante ressort aussi de l’exposition : l’inspiration peut venir de n’importe où. Il y a dans certains vêtements une notion d’exotisme, de surprise, mais que j’ai pu trouver au coin de la rue.Musee mode & dentelle

Le Musée mode et dentelle de Bruxelles vous a choisi pour célébrer ses 40 ans, et son nouveau “virage”. Qu’est-ce que cela vous inspire ? D’abord, cela m’a fait très plaisir. J’ai aussi aimé l’idée de travailler avec des gens ayant une approche un peu plus classique que la mienne, et d’y apporter mon point de vue contemporain. Un ami m’a fait remarquer que c’est la deuxième fois que je collabore avec une institution à l’occasion de ses 40 ans, après la chocolaterie Galler. Je dois avoir quelque chose avec la crise de la quarantaine ! (rires).

*Les marques mettent en vente leurs collections prêt-à-porter aussitôt après le défilé, et non plus six mois plus tard comme cela se fait depuis toujours.

Propos recueillis par Marine Durand
Informations
Bruxelles, Musée mode et dentelle
21.10.2017>15.04.2018mar > dim : 10 h > 17 h, 8 > 4 € / gratuit (-18 ans)
Articles similaires
© Thomas Jean