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Champ magnétique

Plus de vingt ans après l’arrêt de la production française et l’émergence du CD (là, on vous expliquera plus tard…), une entreprise ressuscite la bonne vieille cassette audio. Spécialisée dans la fabrication de bandes magnétiques (pour les cartes bancaires par exemple), Mulann Industries regarde dans le rétro depuis fin 2018. Située à Avranches, une ville de 10 000 âmes en Normandie, cette PME emploie 33 salariés et exporte ce support mythique dans une trentaine de pays ! Visite guidée en rewind, play et forward.

C’est entre le Mr Bricolage et l’hypermarché Leclerc d’Avranches que luisent les lettres bleu pâle sur fond blanc de Mulann Indus- tries. Dans ce décor de périphérie urbaine semblable à tant d’autres, se niche la seule entreprise au monde à concevoir des cassettes audio, sous la marque Recording the Masters. « Quand j’ai relancé cette production, les gens se sont vraiment demandé pourquoi », sourit Jean-Luc Renou, le PDG. À bien y regarder son pari n’est pas si fou, et l’intérêt pour la vieille K7 bien réel. « Aujourd’hui nous en produisons 3 000 par mois, de 60 et 90 minutes, et les exportons partout sur la planète. Aux États-Unis, au Japon et dans des pays plus improbables comme l’Ouzbékistan, Israël ou l’Iran », poursuit notre hôte, en brandissant une cassette vierge et toute pimpante dans son emballage. Il l’a nommée “Fox”, comme ferro-oxyde, la matière première du pigment magnétique utilisé pour la fabrication de nos bandes audio, mais aussi comme “renard” en anglais, c’est-à-dire rusé…

 

Sur bonne écoute

Pourquoi cet attrait si soudain pour un objet, il faut le dire, pas forcément pratique ? « C’est un support iconique, un outil de création musicale et de “community building”, résume l’entrepreneur. C’est l’histoire du jeu de société survivant au jeu vidéo, de l’album-photo qu’on ressuscite parce qu’on ne regarde plus les photos numériques sur son ordinateur ». En somme, c’est un objet plus personnalisé et offrant, comme le disque vinyle, une écoute différente. Quand Spotify ou Deezer privilégient le zapping, « avec une cassette, vous parcourez l’ensemble d’une œuvre, tout un album ». C’est ce plaisir oublié que Jean- Luc Renou veut désormais révéler aux jeunes générations.

Wind of Change

Il reste toutefois difficile de dresser un profil du client standard. Le PDG de Mulann parle d’audiophiles, séduits par une autre qualité de son. « Le numérique est plus propre mais froid, voire cristallin. Le son analogique est certes imparfait, car il y a un bruit de fond, mais il est rond et chaleureux », souligne-t-il. Ainsi, de plus en plus de groupes s’intéressent à ce grain particulier, et frappent à la porte de Mulann. « Je les accompagne en trouvant un partenaire, des producteurs… Plus il y aura de projets, et plus il y aura de bandes audio ! », s’exclame le patron.

Certaines stars planétaires, comme Eminem, ont aussi senti le vent tourner et sortent leurs nouveaux albums sur vinyles ET cassettes. Ce phénomène stimule le marché et ceux qu’on appelle les “réplicateurs”, soit les créateurs de cassettes enregistrées. « Ce sont d’ailleurs eux nos plus gros clients, ils représentent 90 % des acheteurs », précise Jean-Luc Renou, qui compte bien dévelop- per son marché et conquérir un public jeune et créatif. Pour cela, il s’est lancé en début d’année dans la production de baladeurs. Un coup à plusieurs bandes, donc…

 

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Texte & photo : Elisabeth Blanchet

À VISITER / corporate.mulann.com

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