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Bande à part

© Daddy K7 / DR
Protect the Tape ! Tel est le mantra d’Henry Debay, aka Daddy K7. Fasciné par les cassettes audio, le Bruxellois en a récupéré des milliers. Cet artiste de rue les utilise désormais pour créer des performances et favoriser les rencontres durant les festivals. Attention, on appuie sur “play”…

 

En quoi la cassette te séduit-elle ? Ce n’est pas tant la qualité sonore mais l’objet qui me fascine. Aujourd’hui la musique, comme un tas d’autres choses, est totalement dématérialisée. C’est donc chouette de lui redonner “corps”. Il y a aussi ce côté madeleine de Proust. Ayant 38 ans, j’ai bien connu son heure de gloire. Et puis, je pose aussi la question de l’obsolescence. On a une responsabilité par rapport aux ressources utilisées pour fabriquer ces cassettes. On ne peut pas les recycler, or le stock est énorme !

À quels souvenirs te renvoie-t-elle ? Plus jeunes, on réalisait tous nos propres compilations, en enregistrant la radio ou en piratant des albums. On pouvait en offrir à une fille, par exemple (rires). C’était comme la BO de notre vie. La cassette est un objet chargé d’émotion. On la ressent en fouillant dans mon stock : des gens ont passé du temps à créer leur compil, dessinant parfois leur petit logo… La trace humaine est palpable. Et puis, si un jour Internet disparaît, au moins on aura sauvé quelques trucs.

Ce n’est pourtant pas le moyen d’écoute le plus pratique. Il faut rembobiner… Oui, si tu veux réécouter le début d’une chanson, tu attends ! En cela la cassette ressuscite ces petits moments suspendus qui ont disparu de notre quotidien. Aujourd’hui, on zappe de manière frénétique. La technologie devait nous offrir du temps. Au final on bosse plus, toujours plus stressés…

Les capacités de la cassette sont aussi limitées par rapport au Smartphone… Peut-être, mais cette promesse de discothèque illimitée est un mythe. Le choix est tellement vaste que tu n’écoutes plus rien, ou alors tu te laisses guider par les algorithmes des plateformes de streaming. Celles-ci te dirigent vers 1 % des artistes les plus suivis ou ceux que tu es susceptibles d’aimer… Il reste peu de place pour la découverte. A contrario, la cassette rend la surprise possible. En explorant un bac, tu te laisses facilement tenter par un packaging louche. Et puis, la cassette est hyper-solide, elle a une durée de vie très longue (ndlr : il en fait tomber une par terre). Tu vois, elle est intacte, je ne suis pas sûr que ton téléphone survivrait à cette chute.

Assiste-t-on vraiment à un “revival” et pourquoi ? À en croire les chiffres oui. Le film Les Gardiens de la Galaxie, où le héros ne quitte jamais son baladeur, a dû y contribuer. De mon point de vue, il y a deux marchés : “collector” d’abord. C’est par exemple Metallica qui ressort un album en K7. Tous les fans vont se la procurer, sans même l’écouter, comme avec le vinyle finalement. La moitié de ces achats n’est même pas déballée ! Et puis il y a un second secteur, plus underground : celui de la mu- sique indé, expérimentale. Certains groupes vendent leurs bobines comme des goodies à la sortie de leurs concerts. Tu peux les glisser dans ta poche plus facilement qu’un disque !

Quel serait le profil de ces “fans” ? Je suis artiste, pas commerçant. Je vends de façon trop sporadique pour établir un profil, mais je pense qu’il est très varié, du curieux au collectionneur cherchant des supports vierges encore emballés… D’ailleurs, la cassette n’intéresse pas seulement les “vieux”. J’ai livré quelques animations dans les écoles, et les enfants adorent ça ! Ils la manipulent, appuient sur des boutons… c’est très ludique.

(c) Daddy K7 / DR

(c) Daddy K7 / DR

Que trouve-t-on dans ton stock ? Entre 20 et 30000 pièces… j’ai arrêté de compter ! Pour tout dire je n’en cherche plus, je ne sais plus où les ranger. Je ne suis pas très regardant quant au contenu, révélant des compilations réalisées par des quidams autant que des enregistrements originaux : de Sardou, Mireille Mathieu, des chansons pour enfant en flamand…

Quelles seraient tes pépites ? J’ai découvert des vieux groupes comme Chrome Brûlée, de la synthpop. Surtout, j’adore ces trucs improbables que tu ne trouveras jamais sur Internet. Je pense à une cassette que Mercedes Truck glissait dans les camions pour encourager les conducteurs à consommer le moins possible, avec des intermèdes musicaux savoureux, ou alors ce son pour en finir avec l’alcool ! J’ai aussi quelques émissions de la grande époque de la radio libre belge… Côté matériel, on a quelques raretés, comme le modèle du walkman des Gardiens de la Galaxie, le Sony TPS-L2, mais le nôtre est rouge…

Que fais-tu avec ces cassettes ? Je suis issu du théâtre de rue donc, naturellement, je m’en sers pour créer du lien avec le public. J’ai plusieurs formules, comme la dédicace – d’où le nom, Daddy K7. J’invite les gens dans ma station d’écoute : ils y cherchent un morceau, le calent et le dédient à quelqu’un. On émet ensuite ce son de manière très locale en FM, sur le site du festival. On a aussi fondé le Tape Lab, incitant les gens à créer des œuvres avec des K7, comme des guirlandes ou même des installations monumentales ! On a enfin une version déambulatoire avec un petit soundsystem installé sur un BMX…

© Daddy K7 / DR

© Daddy K7 / DR

Quels sont tes projets ? En sortant du confinement j’ai créé une radio communautaire. On réa- lise des mixes avec nos K7, ponc- tués d’interviewes. Par exemple, j’ai récupéré un lot de démos envoyées à l’occasion d’un vieux concours de jeunes talents belges. Un ancien animateur de Radio 21 a pioché dedans et découvert les débuts d’artistes, dont certains ont bien percé. Idem avec un collectionneur du hip-hop belge. Avec eux, on va raconter une histoire de la musique différente. Et, paradoxalement, on écoutera ces émissions sur Internet !

 

 

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Propos recueillis par Julien Damien

À VISITER / www.daddyk7.be

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